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« Crains qu’un jour un train ne t’émeuve plus »

4 juillet 2012
- -
Par : Étienne Delahaye

Avec ses guichets en bois, ses affiches colorées vantant les beautés de la France, son kiosque à journaux et ses panneaux horaires métalliques que l’on feuilletait au mur à la manière d’un grand livre, la gare de Tourcoing était une invitation permanente au voyage. Pour moi, l’aventure commençait dans la salle des pas perdus, avant même l’accès aux quais qui n’était autorisé qu’après poinçonnage des billets, ce dont s’acquittait avec beaucoup d’humour Narcisse, un employé jovial et débonnaire. Personne ne dérogeait à la règle, et il fallait franchir le portillon en exhibant le précieux sésame pour prétendre au départ

À l’origine, une immense verrière recouvrait les voies. Celle-ci fut supprimée à l’été 1953, mais j’avoue n’avoir gardé aucun souvenir de cette halle.
Gare frontalière, « internationalisée » en 1948, Tourcoing offrait également le spectacle de ses fonctionnaires en uniforme, dont les locaux, au quai n° 1, connaissaient à certaines heures une belle affluence, formalités de douane et de police obligent !
Les vacances venues, le dépôt en gare de la malle pour expédition en bagage accompagné, précédait invariablement un autre rituel, celui de la pesée de toute la famille. Tradition qui était répétée au retour, afin d’évaluer les kilos que nous étions censés avoir pris « au bon air ». J’eus pour ma part volontiers multiplié l’opération, non que mon poids m’obsédât, mais la Société anonyme française des appareils automatiques avait eu la bonne idée d’imprimer au dos des tickets qu’elle délivrait l’effigie de nos plus belles locomotives.
Pour les usagers du rail que nous étions, la gare de Lille était un lieu de passage incontournable. Dans les années 1950, Pacific, Mountain et autres Hudson de la SNCF, mais également les Atlantic carénées des Chemins de fer belges, venaient « mourir » aux butoirs de cette gare en cul-de-sac, dont la configuration imposait changements et rebroussements des machines, ce qui nécessitait l’intervention d’hommes d’équipes appelés atteleurs opérant entre les tampons. Sous la halle enfumée, le spectacle était permanent, qui offrait, comme dans un inventaire à la Prévert, un étalage des matériels les plus divers, le tout dans un joyeux tintamarre.

Au départ de Lille, le voyageur en partance pour Paris pouvait découvrir sur sa droite, peu après le pont Sainte-Agnès, les installations du dépôt de Lille-Fives, dont l’imposante rotonde couverte de 40 voies faisait penser à quelque cathédrale de verre et de béton élevée à la gloire du chemin de fer. Par son activité et la qualité de ses pensionnaires, Fives rivalisait alors avec son prestigieux homologue de la Chapelle, situé aux portes de la capitale.
Pourtant, après avoir régné sur le rail français pendant plus d’un siècle, la vapeur connaissait un inexorable déclin et sans doute fallait-il se souvenir que, sur le Nord, la suprématie des Superpacific avait été mise à mal dès l’été 1934 par un train automoteur rapide appelé TAR. J’ai connu ces rames composées de trois voitures (deux automotrices équipées d’un moteur diesel entre lesquelles était intercalée une remorque). Elles adoptaient une « forme aérodynamique qui les faisait ressembler à la nacelle d’un Zeppelin », et lors de leur lancement le Grand Écho du Nord les avait décrites comme n’étant « plus tout à fait le train, sans être pourtant l’automobile ».
J’avais atteint depuis peu ma onzième année quand, en janvier 1959, fut mise en service la traction électrique entre Paris et Lille. Pour être franc, je dois dire qu’à l’époque l’événement ne troubla en rien ma vie d’écolier. Il est probable que je n’en sus rien, et quand bien même, cela ne pouvait me concerner, puisqu’à l’instar de bien des garçons de mon âge j’étais décidé à conduire plus tard une locomotive à vapeur. À Tourcoing, il arrivait que nos promenades dominicales nous amenassent sur le pont du Tilleul où d’un côté la vue plongeait sur les quais de la gare et de l’autre embrassait le faisceau des voies qui menaient au dépôt. Mon plaisir était alors d’attendre la manœuvre d’une machine qui, après s’être engagée sous le pont, ne manquait pas de réapparaître dans un panache de fumée, dont les effluves avaient pour conséquence deme plonger dans un état de félicité extrême. Et je dois dire qu’à l’époque, le charme odorant des sentes qui, passé le pont, couraient encore entre aubépine et liseron n’avait rien à envier à mes fragrances ferroviaires.

À deux pas de la gare de Tourcoing, sur l’avenue qui conduisait au centre-ville, un transporteur avait eu la bonne idée d’exposer dans l’une de ses vitrines la réplique à grande échelle d’une Superpacific Nord. Attelée à deux wagons (citerne et couvert), la machine semblait attendre quelque improbable mission. Longtemps, je le confesse, cette maquette d’un réalisme saisissant a représenté pour moi l’objet de toutes les convoitises. Et si, bien des années plus tard, j’ignore ce qu’est devenue ma belle Pacific, du moins ai-je la consolation d’en avoir garé le souvenir sur les rails de ma mémoire.
Car, pour appartenir à la « génération du panache de fumée, de l’escarbille et du tender »1, je nourris une passion sans retour pour ces mécaniques fumantes qui, pour les ignorants de la vapeur, n’étaient à tout bien considérer que des chaudières sur roues. Assurément, pour l’amoureux du chemin de fer, la vapeur c’était autre chose. On a souvent évoqué l’attachement des « gueules noires » à leurs machines. Il y avait certes le respect de l’outil de travail, mais aussi, et par-dessus tout, la fierté d’exercer un métier qui s’apparentait à un art, dans le sens plein du terme. « L’énergie de la machine, on la fabriquait ! », se plaisait à me rappeler à l’été 2001 un ancien mécanicien de la Flèche d’Or. Complicité du tandem mécanicien-chauffeur, ce « long compagnonnage » chanté par Zola « qui les promenait d’un bout à l’autre de la ligne, secoués côte à côte, silencieux, unis par la même besogne et les mêmes dangers ». Tels deux instrumentistes parfaitement rodés, mécanicien et chauffeur jouaient en totale symbiose. Musiciens d’un monde perdu, dont le frac était de graisse et de suie. Mais aussi sentinelles en éveil, aux avant-postes d’une ligne qui, pour leur être familière, n’en requérait pas moins une vigilance de tous les instants. « Faire l’heure », telle était la devise de ces hommes de devoir. Dans le jargon cheminot, le mécanicien de route était surnommé un « seigneur ». C’est bien à ces chevaliers servants que la vapeur doit d’avoir conquis au fil d’un siècle et demi de règne ses plus belles lettres, à ces hommes qui, « sans le savoir peut-être, sacrifiaient à ces valeurs spirituelles qui ne sont plus de saison, mais qui font la noblesse de l’effort ».

Sans doute fallait-il avoir assisté au démarrage de l’une de ces machines « arrachant » son train dans de puissants halètements, ou avoir vu l’implacable mouvement d’un embiellage à pleine vitesse pour comprendre l’attrait que celles-ci pouvaient exercer. Ce n’était plus alors un corps fait de tôles et d’acier, mais une mécanique en marche, une « force invincible d’ouragan »4 lancée dans l’espace. « Bêtes humaines » selon les uns, « Princesses du rail » selon d’autres, en ce temps-là les locomotives avaient une âme. Il n’est, pour s’en convaincre, que de revoir l’heureuse mise en images réalisée par Jean Mitry sur le poème symphonique d’Arthur Honegger « Pacific 231 » !

   

Outre le fait d’avoir vu la disparition des TAR évoqués plus haut, l’année 1959 marqua pour moi le début de cinq années d’internat chez les Montortains, congrégation de religieux dont l’un des petits séminaires se trouvait près de Besançon. Afin de m’épargner l’inévitable changement de gare à Paris, mes parents me faisaient voyager la plupart du temps par le « Dijonnais », me dotant au préalable d’un solide casse-croûte. Car ce train, affiché au départ de Tourcoing à 8 h 00, empruntait un itinéraire non électrifié qui lui faisait atteindre Dijon à 17 h 31, après avoir desservi une quantité de gares dont les noms défilaient comme une litanie :
Roubaix, Croix-Wasquehal, Lille, Douai, Cambrai, Caudry, Busigny, Bohain, Saint-Quentin, Tergnier, La Fère, Laon, Saint-Erme, Reims, Mourmelon, Châlons-sur-Marne, Vitry-le-François, Saint-Dizier, Joinville, Chaumont, Langres, Culmont-Chalindrey, Is-sur-Tille.
Qui plus est, en certaines gares, en raison d’impératifs (garage, rebroussement, prise d’eau, etc.), l’arrêt se prolongeait. À Dijon, une correspondance avec changement à Dole m’amenait à Besançon, où j’arrivais, fourbu, vers 21 h 00. Dans le sens retour, le voyage s’avérait tout aussi interminable : Dijon départ 8 h 23/arrivée Tourcoing 18 h 40. Il avait fallu auparavant se lever aux aurores pour rallier la capitale des ducs de Bourgogne à bord de la 2 CV du séminaire. Une formalité qui, par temps de givre ou de brouillard, tenait de la prouesse ! Et je me souviens qu’un jour, horaire oblige, mon chauffeur de service avait dû mener la vaillante « Dedeuche » jusqu’à Culmont-Chalindrey, afin d’y rattraper mon « Dijonnais ».

Cependant l’axe Paris – Bâle que nous empruntions offrait par ailleurs bien des attraits et, à Chaumont, le franchissement du célèbre viaduc constituait l’un des temps forts du voyage. C’était comme si d’un coup le paysage devenait maquette, et qu’ayant rompu ses amarres terrestres, mon « Dijonnais » tutoyait les nuages !
Car en dépit du confort relatif des voitures, la possibilité qui était offerte à l’époque de baisser les vitres faisait le bonheur de tout amoureux du chemin de fer digne de ce nom. Nez et cheveux au vent, celui-ci n’aurait pour rien au monde échangé sa place… jusqu’à ce que, vaincu pas une escarbille, il ne lui fallût battre en retraite, l’œil rouge et l’air penaud. Le voyage alors était une aventure d’où l’on ne revenait pas forcément indemne, à moins de respecter les consignes multilingues placardées en bonne place :
E pericoloso sporgersi. Do not lean out of the window. Nicht hinauslehnen. Ne pas se pencher au dehors !… Du moins étions-nous prévenus !

Il arrivait cependant que mon père m’accompagnât à Paris ou qu’un des membres de la maison mère desdits Montfortains se chargeât dans la capitale, à la demande de mes parents, de mon transfert de gare à gare. Du hall patiné de suie de Paris-Nord, nous passions alors à l’ambiance plus « électrique » de Paris-Lyon, antichambre de l’artère impériale sur laquelle couraient encore, superbes dans leur livrée verte en deux tons, les 2D2 9100. Par son aspect massif, et la formidable impression de puissance qu’elle dégageait, cette machine fut sans conteste la locomotive électrique qui marqua le plus l’adolescent que j’étais. « Je les ai vues se ruant sans effort apparent » a pu écrire Maurice Maillet en vieux briscard du Rail5. Pour ma part je garde un souvenir très précis de l’irrésistible accélération dont le voyageur se trouvait gratifié au sortir des aiguilles de l’avant-gare de Paris-Lyon, ou encore de l’inoubliable vision qu’offrait la « Faucille de Villeneuve » sur la machine caracolant en tête de son train. Je quittais Paris à 12 h 28 à bord de l’express 53 à destination de Marseille. Ce train comportait des voitures directes pour Besançon. La coupure s’effectuait à Dijon sur le coup de 15 h 30, alors que nous étions garés pour laisser passer le célèbre Mistral. L’arrivée à Besançon, sans changement à Dole, était programmée à 17 h 03. Je me souviens qu’à la rentrée 1962 j’avais éprouvé quelque appréhension à l’approche du site où, quelques semaines plus tôt, une catastrophe ferroviaire mettant en cause notre train avait endeuillé la ligne6. Le lieu du drame fut parcouru au pas dans un silence pesant, la chaleur extrême qui régnait alors ajoutant à l’oppression du moment.
Mais la vapeur n’avait pas encore totalement déposé les armes. Au retour de mon service militaire, dont les voyages en trains de nuit constituèrent l’un des charmes, un premier emploi sur Roubaix allait m’amener à fréquenter journellement les quais entrevus dans ma prime jeunesse (Ah ! ces départs matinaux l’hiver à bord de voitures « torpilles » encore humides et froides de leur garage nocturne, ou encore la bonne surprise du Picasso de 13 h 27, dont les banquettes avant offraient une vue imprenable sur la voie…). Tête de ligne de la relation Lille – Paris, le tronçon Tourcoing – Lille, via Roubaix et Croix-Wasquehal, échappait encore à l’électrification. Ce sera chose faite en 1982, mais jusqu’en 1968, en dépit d’une dieselisation galopante, les 242 TA ex-PLM affectées au trafic voyageurs assurèrent vaillamment le service. Attachées au dépôt de Fives, ces imposantes machines furent les dernières « grandes roues » à venir rebrousser en gare de Lille.

Aujourd’hui rénovée, la gare de Tourcoing ne ressemble plus tout à fait à celle de mon enfance. Ses guichets en bois ont fait place à des structures en verre, bascule et balance ont disparu, et ses quais, à présent reliés par un passage souterrain, accueillent
désormais ce long serpent métallique que l’on appelle TGV. Nouveau détenteur du record de vitesse sur rail, le Train à grande vitesse met désormais Paris à une heure de Lille, délaissant il est vrai la ligne traditionnelle pour un tracé qui lui est propre, et substituant à l’immuable « tacatac » un entêtant bourdonnement.
Il faut s’y faire, la poésie n’est plus au rendez-vous…
Guillaume Apollinaire avait prévenu : « Crains qu’un jour un train ne t’émeuve plus ».



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Un Commentaire

  1. Güntürk Üstün 22 juin 2017 23 h 36 min

    En tant qu’un poète ferroviaire et maritime inconnu, je laisse mon esprit ouvert à toutes les opinions précieuses des experts et écrivains talentueux du chemin de fer en gardant toujours cette idée qui est la mienne depuis ma jeunesse: “La poésie inimitable que porte le rail ne peut pas être effacée facilement par la disparition du classicisme et la domination du modernisme”. Bon, OK, soyons honnêtes! On a perdu définivement plusieurs de nos chères et irremplaçables camarades de route en acier [par exemple les 141, les 231, les 241, les 2D2, les BB & les CC de la dieselisation et de l’électrification, les RGP, les RTG, les X 2800, …] mais on tient (et on doit tenir) le coup dur grâce aux musées, livres, photos, films, trains miniatures. Je respecte et je salue le grand poète original Mr Guillaume Apollinaire de nous avoir prévenu dans le temps en écrivant ces lignes inoubliables: “… Ô mon amie hâte-toi/Crains qu’un jour un train ne t’émeuve plus/Regarde-le plus vite pour toi/Ces chemins de fer qui circulent/Sortiront bientôt de la vie …”. Personnellement, moi, je n’ai aucun doute pour l’avenir glorieux du rail, mais par contre pour le futur de notre planète déraillée qui risque de devenir de plus en plus sanglant, dangereux et injuste malgré l’existence plein d’espoir des klaxons des trains.

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