Après une longue période de disparition pure et simple, le train renaît au Cambodge depuis quelques années. Un train délicieusement désuet mais fonctionnel, encore réservé à des privilégiés en raison de son coût, à bord duquel nous prenons place entre Kampot et Sihanoukville.
C’était une autre époque. Celle de l’Indochine française. Et ses images d’Épinal : avec ses vélos qui confèrent une posture si spécifique à celles – principalement – et ceux qui les utilisent, avec les illustrations du Petit Journal, avec les Français en casque colonial et les « indigènes » infatigables travailleurs des champs portant chapeau chinois ; avec ses immeubles Belle Époque aux teintes douces, ses cafés pour « expats », ses relents de sueurs mêlées aux chants nasillards, simples et amusants aux oreilles occidentales ; avec ses maisons à l’atmosphère doucereusement dépravée (fumeries, filles…)… Avec ses villes aux sonorités exotiques et, quelque part, proches à la fois – Saigon, Kep-sur-Mer… Avec, aussi, ses trains conçus par l’ingénierie française. Au Vietnam. Et au Cambodge. Après avoir testé le roulis nocturne du chemin de fer entre Hanoï et Da Nang (Vietnam), j’ai voulu goûter au train que le Cambodge a depuis peu remis en fonctionnement – après que celui-ci se fut raréfié à la suite des épisodes survenus dans le pays depuis les années 40, jusqu’à cesser totalement à la fin du siècle dernier. Épisodes porteurs de diverses images, bien moins euphorisantes que celles d’avant, mais désormais d’un autre temps aussi…
Kampot. La gare. Un vaste et haut bâtiment à l’architecture « bien de chez nous ». Au bout d’une rue qui n’a sans aucun doute jamais connu le bitume. Bordé de masures au toit de tôle et de tas de traverses plus ou moins couvertes de végétation. Une gare qui semble bien grande pour la ville qu’elle desservait il y a un siècle – pour la fierté du poivre exceptionnellement renommé qui y est produit et qui faisait l’orgueil des Français de jadis ? Gare plutôt massive mais dont les teintes blanches et bleues (deux bleus : un azur et un plus marqué) qui la couvrent de nouveau, le toit conique et l’absence de porte donnent un sentiment de légèreté. Marquée par des années d’abandon, elle apparaît toutefois assez jolie. Aujourd’hui, presque vide à l’exception de six ou sept stands de marchandes au bord du quai. Pour ce qui est du guichetier, bien que le train soit censé arriver d’ici moins d’une heure, il faut agiter fortement la grille pour que celui-ci vienne ouvrir la porte conduisant à son office. De quoi mettre dans le bain de cette douce nonchalance que l’on associait, comme autre image d’Épinal, à cette région du monde ?