La France adoptera tardivement la télégraphie électrique qui sonnera le glas des fameux sémaphores inventés par Chappe, couvrant le territoire depuis 1794. Les avantages qu’elle offre aux compagnies pour améliorer la sécurité de leur exploitation sont évidents, mais bien qu’empruntant leurs emprises, l’État en conservera durablement le monopole pour des raisons de politiques de sûreté. En 1855, les compagnies ont le droit de se doter d’un service télégraphique autonome. Mais non sans une immixtion et un contrôle étatiques pesants. Cet article développe essentiellement les interfaces rugueuses entre une administration d’État et des exploitants privés. Le foisonnement des premières applications de la télégraphie à l’exploitation ferroviaire sera traité dans un autre article.
Un Journal des Chemins de fer enfiévré
L’année 1842 est décisive pour le développement des chemins de fer en France. En janvier, l’Anglais Whittlelock a compris l’intérêt de lancer un bimensuel, le Journal des Chemins de fer, devenu hebdomadaire le 18 juin à la veille du vote de la loi du 22 juin qui planifie un réseau d’artères majeures et son mode de financement. Libéral, le journal ne cesse de pointer l’avance des techniques. Le 3 septembre 1842, un petit article présente le télégraphe de jour et de nuit inventé par Richard Else : placé à la jonction de deux sections de voie, deux bras mobiles d’inégale longueur, peints en noir et fixés sur un disque opaque peint en blanc éclairé la nuit : c’est là la nouveauté, « pouvoir signaler la nuit. »
Plus substantiel, le 12 novembre suivant, un article résume une expérience de trois années sur le chemin de fer de Blackwall à Londres : de la comparaison entre une ligne à simple voie équipée du télégraphe électrique et une autre à double voie sans télégraphe, il ressort « l’immense économie qui résulterait pour l’établissement des chemins de fer de la propagation du télégraphe électrique. (…) Avec le secours du télégraphe, on a pu organiser sur une ligne très fréquentée des départs de quart d’heure en quart d’heure, sans qu’il en résultât aucun accident. Sur tout autre chemin, une aussi grande multiplication des convois eut fatalement amené des collisions terribles, surtout la nuit. (…) Avec le télégraphe, rien n’est à craindre ; chaque train est toujours instruit aux stations qu’il touche de la position exacte du convoi qui le précède et de celui qui le suit, de même qu’ils sont informés à leur tour de la sienne propre. » De ce service facilité et de cette sécurité garantie par le télégraphe électrique, l’auteur en tire un argument pour que la France adopte un réseau de chemins de fer à voie unique, conjuguant des gares d’évitement convenablement placées avec un bon règlement de service ! Et de chiffrer à 120 millions les économies réalisées pour construire 4 000 km de lignes, dotées de rails de 30 kg. Et de rappeler que si « le principal motif de préférence pour les chemins à double voie, le seul sérieux, c’est leur sécurité plus grande relativement aux chemins à une seule voie », ce motif disparaît par le recours à la télégraphie électrique.
1844 : l’impulsion tardive de l’État
Nommée le 8 novembre 1844, animée par le sous-secrétaire d’État à l’Intérieur Passy, une commission est enfin chargée d’évaluer l’intérêt de la télégraphie électrique1. Le rapport rendu le 23 novembre, après avoir rappelé l’application heureuse de la télégraphie électrique en Angleterre, aux États-Unis et en Allemagne, propose un essai sur une ligne de chemin de fer : « cet essai est d’autant plus urgent qu’un projet de loi a été présenté dans la dernière session pour l’établissement de nouvelles lignes télégraphiques. Il est donc nécessaire de savoir quel système devra être appliqué. Il faut également que la question soit résolue, pour déterminer les conditions nouvelles qu’il y aura lieu de l’introduire dans les cahiers des charges des concessions de chemins de fer. » Rapport conclu en sollicitant un crédit extraordinaire de 240 000 francs pour cet essai, accordé.