Les galeries d’égout véhiculent, outre les eaux usées, un certain nombre d’idées préconçues et néanmoins bien réelles : c’est labyrinthique, c’est noir, c’est plus que salissant car c’est franchement sale, et ça pue ! Et pourtant, et pourtant… on peut y retrouver les empreintes du Paris de la surface, jusqu’aux traces de ces voies ferrées disparues depuis bien longtemps et qui constituaient le plus grand réseau de tramway de France.
L’histoire de Paris incrustée sur les parois des égouts
Eugène Belgrand écrivit à propos des « anciennes eaux de Paris » : « Les traditions se perdent : quand j’aurai disparu avec trois ou quatre collaborateurs et autant d’anciens serviteurs qui surveillent les tronçons d’aqueducs comme chose sacrée, qui en jaugent l’eau comme si elle était encore indispensable à Paris, il ne restera pas même un souvenir de ces vieilles choses… C’est pour cela que j’ai considéré comme un devoir d’écrire ce livre ».
Loin de moi de me comparer à cet ingénieur, mais je reprends volontiers cette réflexion mise en exergue en changeant le mot aqueduc par celui d’égout. En effet, même les passionnés de l’histoire de Paris n’osent pousser leurs investigations dans ce site parisien intensément réticulé et protéiforme, car reconnaissons qu’il est repoussant au premier abord, et que ce n’est pas une fausse impression. On sait maintenant, suite à l’article sur la visite publique des égouts parisiens, qui avait été organisée entre 1862 et 1974, qu’il y a différentes plaques indicatives dans ce labyrinthe pour permettre aux ouvriers de s’y déplacer, mais aussi de localiser ce qui peut se trouver en surface et qui pourrait donc interagir avec ce sous-sol indispensable au fonctionnement quotidien de la capitale. Les plus anciennes de ces plaques sont en terre cuite (texte blanc sur fond bleu), les plus modernes en plastique (noir sur jaune), entre les deux elles étaient en tôle émaillée (également blanc sur bleu).
Au gré des changements de la toponymie parisienne, des plaques modernes sont donc venues, non pas se substituer aux autres, mais bien s’y ajouter, laissant souvent la plus ancienne visible et donc parfaitement lisible. Si on a pour habitude de dire que le réseau des égouts parisiens constitue un double de la topographie parisienne, une ville sous la ville, c’est aussi une strate qui porte imprimée sur les pages de ses parois les traces des pièces de théâtre dont la ville de Paris a été la scène. À défaut d’avoir la faculté de jouer les apprentis alchimistes ayant la capacité de pouvoir transmuter les immondices des égouts en or, faites-moi confiance et laissez-moi vous guider dans ce dédale nauséabond pour y trouver des pépites historiques pour les amoureux de l’histoire de Paris en général et de ses tramways en particulier.
Désormais, le seul élément très ponctuel des égouts qui était offert à la curiosité des touristes, et aussi des Parisiens tentés par ce genre de voyage interstitiel, est fermé jusqu’à début 2020. Les amateurs se donnaient rendez-vous au niveau du pont de l’Alma pour parcourir une véritable portion du réseau, mais uniquement à pied, contrairement à leurs plus chanceux prédécesseurs qui avaient l’opportunité de faire une visite non seulement dans une plus longue portion, mais en train et en barque ! Il peut d’ailleurs sembler surprenant aujourd’hui, si l’on y réfléchit bien, à la fois à cause des normes hygiénistes en vigueur de plus en plus draconiennes, mais également devant la judiciarisation de nos sociétés occidentales sur le modèle nord-américain, qu’aucun parapluie de la taille d’un parasol ne se soit ouvert devant la crainte d’une action en justice si un incident avait affecté (ou infecté) un visiteur de ces sous-sols particuliers, du genre blessure ou contamination.