N ouveauté pour qui arrive en train à Florence : depuis le 14 février, un tramway tout neuf l’attend à deux pas des quais, à droite de la gare en sortant. Un tramway exploité par la RATP ! Le touriste moyen est cependant peu concerné. Le tram ne conduit que vers la banlieue de Scandicci, peu attrayante. Pour gagner le centre-ville et la célèbre Piazza del Duomo, la célébrissime place de la cathédrale, il faudra encore attendre très, très longtemps, ne serait-ce que le temps que les Florentins se décident : le maire ne veut pas entendre parler du tracé de la ligne 2, adopté par son prédécesseur, qui devait y passer. De toute façon, le Duomo n’est qu’à dix minutes à pied…
Appelée T1, la ligne de tram fait 7,4 km de long et comprend 14 stations. Elle part vers le sud-ouest depuis la gare centrale de Florence (Santa Maria Novella), pour aboutir dans une zone encore assez rurale, à Scandicci, où un parking-relais est en construction au débouché d’une future sortie de l’autoroute Rome – Milan. Entièrement en site propre, le tracé comporte notamment un passage au beau milieu d’un parc, un nouveau pont sur l’Arno et un viaduc surplombant un rond-point. Pour le matériel roulant, dix-sept rames Sirio made in Italy, fournies par AnsaldoBreda. Le tout a officiellement coûté la bagatelle de 226 millions d’euros, plus de 30 millions du kilomètre.
« Avant les vacances, nous en étions arrivés à 25 000 passagers par jour, se félicite Jean-Luc Laugaa, cadre de la RATP et désormais patron de la société d’exploitation Gest. C’est bien ! » RATP Dev, la filiale regroupant les activités non franciliennes de la RATP, détient en effet 51 % de Gest (acronyme de Gestore del Servizio Tramviario di Firenze, gestionnaire du service de tramway de Florence). Les 49 % restants sont aux mains de l’Ataf, la société intercommunale des transports en commun locaux.
Mais si elle a récupéré les clefs à l’ouverture de la ligne T1, la RATP n’a pas participé à sa conception. D’où quelques surprises… La plus sympathique, c’est peut-être ce poste de commande centralisé (PCC) du dépôt de Scandicci, qui offre un idyllique panorama sur les collines de la campagne toscane mais d’où on ne voit passer aucun tram. Dès qu’il y a un rayon de soleil, il faut baisser les stores ! « C’est sympa, c’est joli, mais ça n’est pas pratique », constate M. Laugaa. Plus embêtant : la machine à laver les tramways est conçue pour un passage des voitures à 1 km/h. Or, le Sirio ne peut descendre sous les 3 km/h au ralenti… « Il va falloir trouver une solution, car on va finir par avoir des véhicules sales, et la mairie va nous le reprocher », soupire le patron de Gest. Sur le parcours du tram, la partie engazonnée a été recouverte non pas d’une classique pelouse, mais de sedum, une plante tapissante qui accueille volontiers les mauvaises herbes (parfois joliment fleuries)… Ceux qui l’ont planté vantaient son aspect écolo, sans entretien. C’est visiblement raté, et il y en aura pour environ 30 000 euros par an (non prévus).
Autre petit problème : si le tramway florentin dispose théoriquement de la priorité aux feux, le système adopté ne prend pas en compte l’arrivée réelle du véhicule, mais son horaire théorique de passage. Une technique qui a déjà fait la preuve de sa totale inefficacité à Turin… Du coup, le tram s’arrête à tous les feux rouges ou presque. En particulier aux feux installés à l’entrée des stations, qui étaient censés empêcher les piétons de traverser la voie inopportunément. « On y travaille, indique Jean-Luc Laugaa. Mais, c’est sûr, ça casse la vitesse ! » Vendu aux élus pour rouler à 22 km/h de moyenne, le tram ne dépasse actuellement pas les 18 à 19 km/h, dit-il. Ne pouvant pas, dans ces conditions, tenir la fréquence annoncée de 3 minutes en pointe, qui aurait provoqué un bazar général, Gest a donc décidé de cadencer ses tramways toutes les 4 minutes (et toutes les 5 minutes l’été). Un cadencement qui plaît visiblement aux habitants, selon la direction. Malgré ses défauts, la première ligne du tramway de Florence rend en effet un service incomparablement supérieur aux bus, particulièrement irréguliers et englués dans une circulation parfois démente.
« Pour les lignes 2 et 3, RATP Dev sera associé à la construction, nous ferons en sorte de ne pas reproduire les mêmes erreurs », explique M. Laugaa, qui estime que la société française a aussi pour but d’« ouvrir les yeux » aux autorités locales. Reste qu’il ne sait pas très bien quand il construira lesdites lignes T2 et T3, ni où, car leur tracé a été remis en cause ces derniers mois. D’où une confusion certaine…
Le cœur du problème, qui fait du tram florentin un projet mal aimé sur place – hormis les deux ans de retard de la ligne T1 –, c’est la traversée du centre-ville. Et particulièrement le virage que devaient prendre les tramways de la ligne T2 sur la Piazza del Duomo, au ras du célèbre baptistère. De très nombreux habitants, relayés par quelques personnalités, s’en étaient émus. Un référendum avait été organisé en février 2008 qui a vu le projet repoussé par 53,8 % des votants. Mais le maire de l’époque, l’ex-communiste Leonardo Domenici, était passé outre, jugeant la participation (39,35 %) insuffisante. Le tramway devait selon lui permettre d’éliminer 2 300 bus par jour d’un centre-ville menacé d’asphyxie. Le fameux carrefour où il devait tourner était d’ailleurs particulièrement encombré de bus et de cars ; le tram, qui se serait à cet endroit affranchi des lignes aériennes grâce à des batteries embarquées, aurait somme toute été un moindre mal.
Les municipales de juin 2009 ont changé la donne. Florence est restée aux mains du parti démocratique, la principale force d’opposition (centre-gauche) à Silvio Berlusconi, mais la nouvelle équipe, nettement plus centriste, a revendiqué un devoir d’inventaire. Elle ne veut notamment pas entendre parler d’un tramway sur la Piazza del Duomo. Et l’endroit a été piétonnisé en octobre, à la satisfaction générale… exceptée celle des ingénieurs qui se demandent par où passer, les rues étroites du centre historique se prêtant peu à la construction d’un tram moderne.
« Florence a été conçue pour les piétons, les chevaux et les chariots, pas pour les bus et les voitures, explique l’adjoint chargé des transports, Massimo Mattei. Il y a beaucoup d’endroits où les voitures font violence à la ville. C’était le cas de la Piazza del Duomo. Il faut la garder pour les générations futures ! Cela dit, il ne s’agit pas seulement de protéger les monuments. Il faut aussi changer les mentalités, la façon de vivre la ville… Piétonniser nos rues et nos places et développer les transports publics pour que les gens laissent leur voiture au garage. »
Si la nouvelle majorité a montré peu d’enthousiasme à l’ouverture en février de la ligne T1, c’est juré, elle croit au tram : « Le réseau de tramway est le meilleur système de transport en commun pour une ville comme Florence », dont l’agglomération fait environ 600 000 habitants, estime M. Mattei. Mais quand on lui demande comment il voit, concrètement, la suite des événements, les choses se compliquent…
Avec le refus de passer Piazza del Duomo, la ligne T2 a perdu son passage au centre-ville, c’est-à-dire un bon quart du parcours. Pour le moment – sous réserve de régler le problème du terminus commun avec la T1, qui s’annonce encombré –, elle devrait donc relier la gare à l’aéroport, situé au nord-ouest. Et les travaux doivent théoriquement commencer à l’automne. Quant à la ligne T3, censée rejoindre le principal hôpital de l’agglomération (au nord) depuis la gare, son sort est lié aux discussions avec le gouvernement italien sur l’emplacement de la future gare de la ligne à grande vitesse Rome – Milan, qui doit traverser Florence en souterrain. Pour éviter le rebroussement de la gare terminus actuelle, celle-ci est en effet prévue un peu plus au nord. Or la nouvelle majorité ne veut pas de ce projet signé par l’architecte Norman Foster. Tant qu’à creuser, plaide-t-elle, autant construire la nouvelle gare le plus près possible du centre-ville et, tant qu’à faire, sous (ou à proximité immédiate de) la gare actuelle, qui est à deux pas du centre… En ce qui concerne le tram T3, le détour prévu pour desservir la gare TGV ne se justifierait évidemment plus si celle-ci devait se rapprocher du centre.
Massimo Mattei évoque également une ligne T4 qui irait vers l’ouest – éventuellement un tram-train – et une ligne T5 qui monterait vers le nord. On aurait donc un éventail de cinq lignes, de T1 à T5, qui convergeraient vers la gare de Santa Maria Novella depuis le sud-ouest, l’ouest, le nord-ouest, le nord et le nord-est. Cinq lignes qui ne passeraient pas dans le centre-ville. Certes, comme le dit l’adjoint, « la gare est dans le centre » (à son entrée à l’ouest, plus précisément). Mais celui-ci n’est pas si petit que ça, et le transvasement des passagers dans des minibus électriques pour finir le trajet ne sera peut-être pas du goût de tous… En outre, de l’autre côté, tous les quartiers situés à l’est et au sud de la ville sont laissés à l’écart. Des prolongements des lignes T2 et T3 devaient y mener, mais ils ont pour le moment disparu des plans de la mairie.
« Le projet n’est pas prêt », indique-t-on pudiquement au service des transports de la ville. Le nouveau maire, Matteo Renzi, a récemment évoqué un tunnel qui passerait sous le centre historique, avec une station située à mi-chemin entre le Duomo et le Palazzo Vecchio. Une perspective qui en fait frémir plus d’un, y compris dans son administration ! « Quand tout sera clarifié, nous travaillerons aussi la nuit », a-t-il promis dans une récente interview à la presse locale. Bien sûr, on ne parle plus trop d’argent. Pour mémoire, le projet précédent des lignes T1 – la partie réalisée –, T2 et T3, dont le plan de financement avait été bouclé, était estimé à 700 millions d’euros pour 20 km.
A la RATP, on compte les points, d’autant que l’importance des opérations de la société française sur place dépendra des décisions des édiles florentins : le groupement qu’elle dirige doit en effet construire les lignes T2 et T3, le contrat d’exploitation courant pendant trente ans à partir de la mise en service de la T2. A Paris, Laurence Le Blanc, la responsable des opérations internationales, se veut confiante. Le succès même de la nouvelle ligne T1 devrait faciliter les choses, estime-t-elle : « Avec l’ouverture du tram, on est passé du jour au lendemain d’un projet mal aimé, qui embêtait, à un vrai service qui plaît. »
François ENVER