Faut-il déménager la gare de l’autre côté de la ville, et construire une ambitieuse traversée ferroviaire de la capitale normande qui passerait sous la Seine ? Et, question nettement moins chère mais très liée au projet précédent : par où faire passer ce fameux tram-train Barentin – Rouen – Elbeuf dont on parle depuis encore plus longtemps ? La réflexion est bien engagée ; les premières réponses sont attendues à la fin de l’année. Le constat est connu. Depuis 1847, la ligne Paris – Le Havre traverse Rouen par quatre tunnels après avoir franchi la Seine, avec de nombreux cisaillements. Coincée entre deux tunnels sur ce parcours peu commode, l’actuelle gare Rouen Rive-Droite est unanimement jugée trop petite. Ses quais, trop courts, ne peuvent être allongés sans entreprendre des travaux pharaoniques. En outre, les trains diesel qui la desservent polluent le quartier… Tout le monde ou presque à Rouen reconnaît le problème. D’où l’idée de dévier la voie ferrée et de construire une nouvelle gare. On s’est d’abord intéressé à huit implantations possibles dans l’agglomération, puis seulement trois. Finalement, les différentes parties concernées se sont entendues fin 2005 pour se focaliser sur le site de Saint-Sever, en bordure de la Seine, rive gauche. Trois études parallèles ont alors été lancées, portant sur la nécessité et la localisation d’une nouvelle gare centrale susceptible d’être couplée à un « site de développement économique » (c’est-à-dire un quartier d’affaires de type Euralille), la faisabilité du tram-train Barentin – Rouen – Elbeuf (sur le grand axe de développement urbain de la région) et la capacité du réseau ferré des environs, dans un contexte de cadencement des TER et des liaisons Paris – Rouen – Le Havre. On commence maintenant à y voir nettement plus clair, explique Philippe Adam, qui suit le dossier à la région Haute-Normandie. Mais pour le choix de l’implantation de la gare, il y a maintenant trois possibilités, toutes situées à quelques centaines de mètres les unes des autres du côté de Saint-Sever :
Le premier site repéré dans le secteur est un peu excentré, face à l’île Lacroix. Il s’agit d’une friche ferroviaire à l’emplacement de l’ancienne gare Saint-Sever (appelée aussi Rouen-Rive gauche, ou Rouen-Préfecture), qui fut la première de Rouen en 1843 – et ne fut pas reconstruite pour les voyageurs après sa destruction pendant la Seconde Guerre mondiale. Avantage certain : il y a de la place, une quinzaine d’hectares disponibles. Mais s’il était choisi, il faudrait en soigner les accès.
La gare pourrait également être construite au cœur du quartier Saint-Sever, sous le cours Clemenceau. Une telle option, très urbaine, permettrait une connexion directe avec le métro, à la station Joffre-Mutualité (celle-ci étant souterraine, il faudrait sans doute faire remonter ledit métro à la surface pour permettre au tunnel ferroviaire de plonger sous la Seine…). A priori, elle exigerait quelques destructions dans le quartier, reconstruit après guerre.
La troisième solution envisagée est beaucoup plus spectaculaire : on construirait la nouvelle gare sur deux niveaux sur les quais rive gauche, face au centre-ville. Le métro passe sur le pont juste au-dessus. Révolutionnaire s’il était choisi, ce site exigerait « un geste architectural fort ». Il serait peut-être un peu éloigné du nouveau quartier d’affaires, qui de toute façon serait construit sur le site de l’ancienne gare Saint-Sever.
« Nous avons maintenant trois endroits différents, et donc des visions différentes, note Philippe Adam. A la fin de l’automne, on aura des éléments pour trancher, notamment des chiffrages plus précis. Pour décider du site sur lequel on poursuit. » Quelle que soit la décision, la ligne du Havre poursuivrait sa route sous terre après la nouvelle gare, avec un tunnel de 6 km de long passant notamment sous la Seine. Il y en a pour environ un milliard d’euros. Avec une ouverture envisageable vers 2020, si tout va bien. De ce choix – ou pas – de l’implantation de la nouvelle gare d’agglomération, dépend directement le sort de l’autre grand projet du moment, le tram-train. Conçu dans le PDU de l’agglomération rouennaise comme une « liaison ferrée rapide » qui doit aller de Barentin (près de 25 000 habitants à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Rouen, sur la ligne du Havre) à Elbeuf (environ 60 000 habitants, à une vingtaine de kilomètres au sud) via le centre de Rouen, il devait tout à la fois contribuer à la lutte contre l’étalement urbain et permettre de trouver une solution technique au problème de saturation de la traversée ferroviaire de Rouen. Si ce dernier problème est résolu par un nouveau franchissement souterrain de la Seine, le tram-train pourrait tout à fait emprunter à l’avenir la voie ferrée classique, et desservir au passage une gare de Rouen Rive-Droite qui se retrouverait déchargée de la plupart de ses liaisons actuelles. Il semble en effet à peu près acquis qu’il aura pour vocation de faire la navette entre les deux gares, l’ancienne et la nouvelle, cette dernière ne pouvant évidemment être ignorée. Reste à savoir comment il y arrivera (ce qui, bien sûr, dépendra de l’endroit où elle se trouvera !). Et à cet égard, il reste plusieurs possibilités : un parcours uniquement sur la voie ferrée, ou une sortie de ladite voie ferrée à l’ancienne gare de Rouen-Martainville (dite aussi gare du Nord, ancien terminus de la ligne d’Amiens), à deux pas du CHU, avant un parcours urbain qui pourrait être en partie aménagé sur le site de Teor. Vers le sud, le tram-train emprunterait soit la voie ferrée menant vers Caen (par l’est), soit une route plus directe actuellement fermée au trafic voyageurs et dont la réouverture est problématique pour cause de traversée d’une zone Seveso (par l’ouest). De toute façon, souligne Philippe Adam, « il s’agirait d’une première ligne. On s’inscrit clairement dans la perspective d’un réseau qui, à long terme, parcourrait toute l’étoile ferroviaire, vers Barentin, Elbeuf, Serqueux, Val-de-Reuil/Louviers… » Le parcours du tram-train en ville pourrait être, ou pas, commun avec un éventuel prolongement du métro, que de nombreux Rouennais jugent indispensable si la nouvelle gare est installée sur le site de l’ancienne gare Saint-Sever. L’ancien maire de Rouen, Pierre Albertini (UDF), l’avait annoncé il y a deux ans, quand bien même ce n’était pas de son ressort. Aujourd’hui, Yvon Robert, l’élu (PS) responsable des transports à l’agglo de Rouen, se veut beaucoup plus prudent… De toute façon, il estime que la nouvelle gare ne se fera pas avant très longtemps : « En 2006, on disait 2020 au mieux. En 2008, je dis 2025 à 2030, même si je n’ai aucun élément concret pour dire ça. Mais j’en crois mon expérience – je trouve que vingt ans pour mener ce projet à bien, c’est une échelle raisonnable. » Et d’en appeler au gouvernement : « On considère que ça avancera si c’est une priorité nationale. Il faut que le déplacement de la gare de Rouen soit inclus dans les suites du Grenelle de l’Environnement. Ce ne peut pas être un projet soutenu par les collectivités locales seules, il faut que ce soit un projet de l’Etat ! » A la région Haute-Normandie, qui copilote les études en cours avec le Syndicat mixte pour le schéma de cohérence territoriale (Scot) de l’agglomération Rouen-Elbeuf, on veut s’en tenir au calendrier initial, qui pour l’instant n’a pas pris de retard. « On ne sait plus gérer la croissance du trafic ferroviaire, insiste Philippe Adam. On est coincés ! Et si on doit être coincés jusqu’en 2030, comment on fait ? On vise un objectif qui reste à 2020. Ambitieux, certes. On est un peu condamnés à l’activisme ! »
François ENVER