Conducteur chez Fret SNCF, Hugo Marybrasse prend son service en cette soirée de mars 2020 pour assurer un train de trafic combiné de Valenton à Lyon-Part-Dieu, aux commandes de la Sybic 26212. Il nous expose tout ce que la crise sanitaire change au quotidien dans l’exercice de son activité, la conduite de trains de marchandises, essentielle en temps de pandémie.
Vendredi 20 mars 2020, le confinement a été décrété il y a trois jours, j’étais alors en repos. Aujourd’hui, qui aurait pu être une journée comme une autre, c’est mon jour de reprise et également ma première « sortie » : un bol d’air frais dans un pays complètement chamboulé par la situation sanitaire qui se dégrade à grande vitesse.
Habitant sur la ligne D du RER, j’emprunte encore un des trains de banlieue qui roulent ce jour-là. Il est pourtant 17 h passées mais rien n’y fait, nous sommes trois dans la voiture voyageurs, trois… Arrivé à la gare de Villeneuve-Triage, je préfère marcher jusqu’au dépôt histoire de m’aérer l’esprit.
Je prends mon service en avance, dans cette ambiance excessivement perturbante, pour assurer le train n° 50045. Un train du trafic combiné circulant à 140 km/h et composé essentiellement de caisses frigorifiques pour le transport de denrées périssables. Il est en temps normal assuré par mes collègues lyonnais, mais c’est quand même avec un petit plaisir, caché par l’inquiétude, que je pars pour Valenton.
Avant cela je récupère la pochette de « nettoyage » que notre CTT (cadre Transport Traction) nous a préparée plus tôt dans la semaine : du gel hydroalcoolique, des lingettes, une paire de gants ainsi que de petits sacs-poubelles.
Ma journée de service prévoit un taxi pour m’acheminer du dépôt jusqu’à Valenton, mais c’est à pied que je préfère rejoindre ma destination. 20 min plus tard j’atteins le « Départ sud » des garages de Valenton. Certes le fret ferroviaire n’est pas forcément au mieux ces dernières années, mais en cette fin de journée pas une once de vie. Incroyable ! Je n’avais jamais vécu une telle situation. Sur environ 25 voies, une seule rame est présente et pas près de partir. Une petite vingtaine de minutes après j’arrive enfin au pied des quatre machines de Fret SNCF stationnées dans le faisceau du Pivos (poste informatisé des voies de service).
Malheureusement le centre opérationnel devant me renseigner sur le numéro de la machine a été évacué plus tôt dans la journée suite à une suspicion de Covid-19. Les interlocuteurs se faisant rares, j’arrive tout de même à trouver le numéro de la machine devant assurer mon train avec l’aide d’un collègue du CMT (chantier multitechniques). Ce sera donc la 26212, j’avoue avoir un peu poussé le destin pour avoir une Sybic…
Avant de commencer la préparation de la machine j’en profite pour passer la lingette sur le pupitre devant assurer la conduite du train. Habitude que j’ai prise depuis longtemps mais pas avec ces produits-là. Toute surface touchée non nettoyée peut être source de stress. Je réalise quand même l’intégralité des essais qui sont prescrits à la PC. La nuit commence à tomber, le vent persiste, un dernier tour de l’engin et je suis prêt à évoluer en direction du CMT pour me mettre en tête de la rame.
Au nom de la modernisation, de précieuses professions ferroviaires se perdent une à une en France et à travers le monde. Espérons que le métier de conducteur de train, qui requiert beaucoup de dévouement et d’attention, ne disparaîtra pas entièrement à l’avenir comme cela est arrivé aux chefs de train et chefs de sécurité!