Éminent spécialiste de l’histoire de la locomotive à vapeur et de l’oeuvre de Chapelon en particulier, il y a 25 ans, Jean-Marc Combe publiait une précieuse bibliographie critique de cette oeuvre abondante, plus d’une cinquantaine d’articles de revues, chapitres d’ouvrages collectifs et ouvrages personnels 1. Soit 12 publications si l’on s’en tient à la décennie 1938-1948 (encadré p. 29). Sous le n° 36, J.-M. Combe pointait le cours professé en 1959 à l’École centrale des arts et manufactures, tout en faisant part d’une intuition : « On peut supposer que depuis 1947, il a existé d’autres versions de ce cours, mais nous ne possédons actuellement que celle de 1959. » La découverte des cours polycopiés parus en 1946 et 1947, signés de Chapelon permet de révéler ce qu’il enseignait alors à des élèves de 3e année, nombreux encore à fournir des recrues pour la SNCF.
La période est cruciale pour la SNCF au sortir d’une guerre qui, suite aux prédations allemandes depuis 1940 et aux destructions massives des bombes des Alliés amplifiées en 1944, doit avec des moyens amputés ou détruits, se reconstruire sur des bases nouvelles. Sous la pression du gouvernement, dans l’immédiate aprèsguerre, la SNCF met en avant un programme décennal d’électrification (1945-1955): sachant qu’une moindre consommation de charbon par la SNCF doit profiter aux autres activités industrielles, métallurgie notamment, ainsi, plus que jamais, dans un contexte qu’agite la question de la politique nationale énergétique, des études comparatives au sein de la SNCF doivent arbitrer l’investissement relatif dans les trois options en concurrence, vapeur, électricité et diesel. En réalité, réflexions et publications sur cette question y ont fleuri dès 1943. Il est très intéressant donc de voir comment Chapelon, dans son cours, s’aligne ou non sur sa hiérarchie…, des ingénieurs des mines notamment dont les questions énergétiques sont bien une spécialité. Mais avant d’ouvrir les deux polycopiés de 1946 et 1947, rappelons comment l’oeuvre de Chapelon était déjà jugée avant guerre.
Chapelon: une notoriété acquise dans les années 30
Dans sa 9e édition datée de 1935 de ce best-seller que fut La Machine locomotive, Édouard Sauvage rappelle en introduction que c’est Chapelon qui a fait bénéficier la locomotive à vapeur française « d’importants perfectionnements » ; elle n’est « pas prête de disparaître, nécessaire pendant longtemps encore », dont « les incessants progrès prouvent la vitalité. » Dans l’ouvrage, Sauvage aborde la question du « remplacement de la locomotive normale », cette « locomotive normale » bien entendu étant… la locomotive à vapeur 4 ! Évidemment, « les incessants progrès de la mécanique font surgir de nouveaux appareils, qui peuvent, pour certains usages, se substituer à la locomotive normale. » Mais ces nouveautés ont peu d’avenir. Ainsi des locomotives à vapeur à turbines jugées sans avenir : « il semble peu probable que ces nouveaux engins soient préférables, comme efficacité ou comme économie, aux locomotives actuelles avec leurs récents perfectionnements. » Quant à la transformation plus radicale encore que représente « la locomotive électrique », sa place se restreint aux services de banlieue chargés et, « dans certaines conditions, sur de longs parcours »… En effet, « en regard des avantages qu’elle présente, il faut mettre les grosses dépenses d’établissement qu’elle exige. » Quant au moteur diesel, il convient parfaitement aux machines de manoeuvre, « la vapeur étant mal utilisée dans ces services à courts trajets avec arrêts fréquents et prolongés. » Cette troisième disposition, « avec moteurs de grande puissance, est envisagée pour de longs parcours dans des régions désertiques où l’eau manque. » Ainsi, en dehors de ces besoins spéciaux, « la locomotive normale continue à être l’objet d’études approfondies et de perfectionnements constants, assurant plus de 80% du trafic ferroviaire mondial. »