VENDREDI 18 DÉCEMBRE
20h53. Alors qu’une grosse tempête de neige sévit du côté de Calais, l’Eurostar 9157 en direction de Londres s’arrête suite à un problème de traction dans l’intervalle 1 (le dernier tiers vers l’Angleterre).
21h25. Le conducteur prévient Eurotunnel. Une demande de secours est aussitôt transmise au gestionnaire des infrastructures. L’unité de secours de deux locomotives diesels Krupp d’Eurotunnel (en astreinte côté anglais) intervient. L’intervalle 1 étant bloqué par le train Eurostar, Eurotunnel passe en mode d’exploitation par batteries, en alternant le sens de circulation dans l’intervalle 2 (le premier en partant d’Angleterre). Une première batterie de rames Eurostar et de navettes Eurotunnel gagne la France, tandis que 4 autres Eurostar attendent dans le froid côté français, ainsi qu’une navette camions, et les locomotives Krupp normalement basées côté français. C’est dans cette batterie venue de France que la suite de défaillances va se produire.
Vers 22h. Les Krupp sont attelées au 9157 et tractent la rame vers la sortie anglaise.
22h25. Le 9157 sort du tunnel. À partir de 23 h, les Krupp, qui sont certifiées sur la ligne nouvelle HS1, remorquent le 9157 jusqu’à Londres. La panne occasionnera 3 heures de retard.
22h35. Le premier Eurostar de la batterie, le 9053, s’arrête à son tour, dans l’intervalle 3 (le deuxième vers l’Angleterre).
22h38. L’Eurostar 9057, qui suit le 9053 dans l’intervalle 3, se retrouve bloqué. Derrière eux, les 9055 et 9059 sont encore dans l’intervalle 5 (le premier en quittant la France) et sont alors envoyés sur l’intervalle 4 (normalement, le deuxième vers la France) pour contourner l’intervalle 3.
22h50. Le 9055 tombe à son tour en panne au niveau du « cross-over » anglais, aux deux tiers du parcours, alors que la navette camions, elle, se tire d’affaire. Les Eurostar 9057 et 9059, encore en état de fonctionner, sont respectivement bloqués dans les intervalles 3 et 4. Le blocage de ces intervalles interdit tout passage de trains. Les navettes régulières Eurotunnel sont suspendues (1 000 véhicules se retrouveront bloqués en Angleterre, contre 500 en France) et les deux derniers Eurostar pour Londres (un de Paris et un de Bruxelles) ne dépassent pas Calais-Frethun. Certains passagers (au total, ils sont quelque 2 000) vont rester bloqués jusqu’à 15 heures dans le tunnel, sans eau, ni nourriture… ni même explications. Entre-temps, les pantographes de 9053 ont chuté : ce dernier ne peut plus compter que sur ses batteries. Une navette voyageurs part pour l’intervalle 1 et évacue 700 personnes, qui doivent emprunter un escalier à cause du « cross-over » et effectuer 500 m de marche. Contrairement aux règles d’évacuation, les voyageurs prennent leurs bagages.
SAMEDI 19 DÉCEMBRE
0h40. Le 9057 est refoulé jusqu’à l’intervalle 6 (côté France) et dix minutes plus tard il tombe en panne, non loin du « cross-over » français.
Vers 1h. Les voyageurs du 9057 ont ouvert des portes et commencent à gagner le tunnel de service. Une deuxième navette quitte la France pour récupérer les 664 voyageurs de ce train. L’exploitant aura donc organisé « le transfert de 1 364 passagers d’Eurostar vers les propres navettes d’Eurotunnel, puis leur acheminement vers le terminal de Folkestone (Kent, Grande-Bretagne), d’où ils ont finalement pu reprendre leur voyage vers leur destination, Londres », indique un communiqué. Là, une pagaille immense les attend car des milliers de personnes attendent aussi de pouvoir embarquer sur des navettes Eurotunnel.
1h45. Le 9059, sur lequel on comptait pour pousser le 9055, donne des signes de faiblesse et tombe en panne à son tour. Maintenant, quatre rames Eurostar sont sans moteur dans le Tunnel, situation totalement inédite.
3h45. Les locomotives Eurotunnel poussent le 9059 et le 9055 vers l’Angleterre avec une loco Krupp.
5h30 – 5h40. Remise en service partielle du Tunnel aux navettes Eurotunnel.
7h05. Prise en remorque du 9057, dont le nez est gelé. Près de deux heures sont nécessaires pour accéder à son attelage et le conduire en Grande-Bretagne.
Dans la matinée. 2 600 clients sont passés en Angleterre. Des rames sont envoyées de Londres à la sortie du Tunnel pour effectuer la dernière étape.
Dans la journée. Eurostar espère reprendre le service. Deux trains quittent Paris et tentent de gagner Londres. Comme les rames de la nuit précédente, la première tombe en panne à la sortie du tunnel. Prise en remorque, elle arrive à Saint-Pancras à 1h05 du matin, avec 1h35 de retard. Le second train est arrêté avant de s’engager sous la Manche et les voyageurs font demi-tour pour Roissy, officiellement parce que les ressources hôtelières y sont plus abondantes qu’autour de Paris-Nord.
DIMANCHE 20 DÉCEMBRE
Eurostar commence des tests pour comprendre la cause des pannes.
DANS LA NUIT DU 20 AU 21 DÉCEMBRE
Les files de centaines de camions qui avaient dû stationner le long de l’autoroute M20 à l’approche du Tunnel ont été résorbées après le retour à la normale du trafic des navettes.
LUNDI 21 DÉCEMBRE
Le matin, Eurostar conseille à ses clients de reporter leur voyage. La société ferme les réservations pour écluser le très important retard accumulé depuis trois jours. Alors que la pression monte sur Eurostar, le secrétaire d’État français aux Transports, Dominique Bussereau, annonce, de Pékin, une enquête sur l’interruption, « pas admissible » selon lui, du trafic des Eurostar entre Paris, Bruxelles et Londres depuis le 18 décembre.
Nicolas Sarkozy convoque Guillaume Pepy, qui a la double casquette de président de la SNCF et d’Eurostar. Il réclame une « reprise des trafics effective dès mardi » et la réunion en « urgence de la commission franco-britannique compétente dans le Tunnel ». Un dispositif d’information des voyageurs doit immédiatement être mis en place, indique l’Élysée qui précise que « ces instructions s’appliquent également à Eurotunnel ».
Le chef de l’État demande aussi au président de la SNCF « de lui rendre compte de la situation sur le réseau Transmanche et de lui présenter les mesures à même d’éviter que de tels incidents, inacceptables pour les voyageurs, puissent se reproduire ». Guillaume Pepy se rend ensuite, avec Jacques Gounon, le président d’Eurotunnel, chez Jean-Louis Borloo, le ministre de l’Écologie, pour lui rendre des comptes. Juste avant, Eurostar a annoncé l’ouverture immédiate d’une enquête, confiée à un tandem d’experts indépendants, Christopher Garnett, ancien patron de la compagnie ferroviaire britannique régionale Great North Eastern Railway (GNER) et ancien directeur commercial d’Eurotunnel, et Claude Gressier, ingénieur des Ponts et Chaussées.
MARDI 22 DÉCEMBRE
7h10. Un premier Eurostar quitte Paris-Nord pour Londres. C’est le début de la reprise. Elle se fait progressivement avec deux trains sur trois. La vitesse est limitée comme sur le reste des LGV touchées par les intempéries. Le même jour, la SNCF s’offre une pleine page d’information dans la presse française.
Le trafic devait redevenir normal le week-end du 26 au 27 décembre, ou au plus tard le 28. Au total, 40 000 personnes ont été affectées durant ces quatre jours.
Dossier réalisé par Patrick LAVAL et Marie-Hélène POINGT