fbpx

Je me connecte

E-mail*
Mot de passe*
Je valide > Mot de passe oublié?

Je m'inscris

*Champs obligatoires

Conformément à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée en 2004, vous bénéficiez d’un droit d’accès et de rectification aux informations qui vous concernent.
1. Mon Compte
2. Mes activités
3. Mes Newsletters

Vous devez lire et accepter nos conditions générales de vente et d’utilisation *

* Mentions obligatoires

Je souhaite recevoir la newsletter :

Je m'enregistre

Mot de passe oublié ?

X
laviedurail.com

« La Bataille du rail » aux « Dossiers de l’écran » : un film politiquement consensuel ?

9 juillet 2012
- -
Par : Georges RIBEILL

Dans sa présentation du film qui accompagne le DVD de l’INA, analysant fort pertinemment le découpage du film, ses plans et ses enchaînements, Sylvie Lindeperg distingue deux parties, un documentaire d’abord, inspiré par le cinéma soviétique, où les cheminots anonymes apparaissent interchangeables ; une seconde partie, qui met en scène toutes les strates hiérarchiques de la SNCF. Les deux commanditaires ont pesé : la coopérative Ciné-Union, proche du parti communiste, cherchant à exalter la classe ouvrière, et la SNCF, désireuse plutôt d’exhiber la « maison SNCF » dans son entier. L’acteur collectif-sujet du film glisse ainsi des « cheminots » aux « chemins de fer ». Un compromis qui explique à de minimes différences dans une presse alors unanime, de L’Humanité au Figaro. « Les deux commanditaires vont pouvoir tirer parti du film pour légitimer leur discours sur la Résistance », souligne Sylvie Lindeperg. Elle rejoint la biographe de René Clément, qui, comparant les deux chefs-d’œuvre épiques de René Clément, La Bataille du Rail et Paris brûle-t-il ?, juge qu’ils « sont également utilisables en tant que propagande pour le grand public, par la droite comme par la gauche : le fait qu’ils aient été projetés en URSS peu de temps après leur sortie montrent qu’ils sont tous deux faciles à récupérer au profit de n’importe quel parti autre que nazi ». Ainsi ce film « sans chef » qu’est La Bataille du Rail, seul film français diffusé en URSS de 1947 jusqu’en 1954, pouvait convenir à Staline. En effet, insiste-t-elle, « on ne trouve nulle part dans la filmographie clémentielle la figure du “héros positif” traditionnel, c’est-à-dire un protagoniste qui serait traité en parangon de vertu de tel ou tel ordre ». Ainsi La Bataille du Rail « donne à voir non pas un mais plusieurs personnages centraux, présentés comme autant de rouages indispensables à la Résistance, et dont les caractéristiques individuelles sont soit quasi nulles, soit impropres à former une image de héros qui serait supérieur au reste des actants ».

Le choix de programmer La Bataille du Rail le mercredi 19 mars 1969, sur la deuxième chaîne, à 20 h 10, dans le cadre de la très populaire émission d’Armand Jammot et Guy Darbois Les Dossiers de l’écran et d’engager un débat peut s’expliquer par une certaine actualité éditoriale. En 1967, Henri Noguères a publié chez Robert Laffont le premier des volumes de son Histoire de la Résistance en France de 1940 à 1945 ; la Fédération CGT publie en fin d’année un ouvrage qui souligne la contribution décisive des cheminots communistes et syndicalistes illégaux à la Libération et rappelle qu’à l’automne 1944, alors que la victoire des Alliés était devenue certaine, « des groupements de Résistance se constitu[èr]ent in extremis. Ainsi Résistance-Fer », qui, selon la Fédération, comportait parmi ses adhérents une majorité de « Résistants du mois de septembre » (4). Un an plus tard, en décembre 1968, la SNCF diffuse un ouvrage de commande, précisant sa contribution à la Résistance (5).
Au débat, animé par Alain Jérôme, vont participer huit anciens résistants : Louis Armand (1905-1971), l’ingénieur en chef de la traction à la SNCF en 1940-1944, clef de voûte en 1943 de son réseau de renseignements ; deux cadres de la Résistance impliqués dans le Plan vert, René Lacombe (1915-1994), vice-président de l’Assemblée nationale, et son ancien adjoint Henri Garnier (1900-1984) ; le général Pierre Dejussieu (1898-1984) ; Marcel Degliame (1912-1989), membre du Conseil national de la Résistance ; Henri Noguères (1916-1990) ; enfin deux cheminots, le « sédentaire » Norbert Lejeune (6), chef de nombreuses opérations militaires en zone nord, et le cégétiste passé à la clandestinité Robert Hernio (1909-2003) (7). L’absence de René Clément peut surprendre et, plus encore, celle de Paul Durand, dont le copieux ouvrage vient de paraître en librairie. Mais, sans doute, a-t-on considéré que la présence de Louis Armand, commanditaire et préfacier de cet ouvrage, suffit par son autorité et en tant qu’ancien dirigeant résistant. Au demeurant, la présence de Robert Hernio fait un contrepoids équilibré à la présence du fondateur de Résistance-Fer.
Dans son édition du 16 mars 1969, La Vie du Rail, l’hebdomadaire corporatif que contrôle alors la SNCF, dans sa rubrique « Télévision », annonce ainsi le film :
« Une des pages les plus glorieuses de la Résistance est évoquée par René Clément. Les cheminots y sont à l’honneur. L’on met en plein jour l’action qu’ils menèrent parmi les combattants de l’ombre. La Bataille du Rail est un épisode déterminant dans la lutte menée contre l’occupant. Alors que la France, déchirée, est coupée en deux, les cheminots prennent de lourdes responsabilités pour contrarier le fonctionnement de la “machine de guerre allemande”. Mais ils doivent tenir compte de nombreux impératifs, le passage du courrier clandestin, l’évasion des prisonniers et des Israélites pourchassés. Ils font alors des prouesses d’ingéniosité, enfouissent les lettres sous les banquettes des compartiments, et les niches de chien servent à cacher les voyageurs clandestins.
« Tout cela, on l’apprendra plus tard… La résistance “cheminote” s’organise chaque jour et l’on voit ainsi des trains partir pour une destination opposée à ce qui était prévu, grâce à de savants et dangereux subterfuges. On invoque sans cesse des impossibilités techniques, on sabote le matériel, des camions-citernes sont percés, des bogies sont déréglés, des locomotives sautent sous la déflagration de bombes aimantées.
« Les mesures de répression des Allemands restent inopérantes, leur propagande ne rencontre pas le moindre écho. Ils décident alors de prendre des otages, les passent par les armes. Rien n’émoussera la détermination courageuse des cheminots.
« René Clément donne une foule d’exemples, exaltant le courage et l’abnégation des cheminots, qui furent au premier rang de la Résistance, qui, après avoir aidé à la déroute des occupants, se sont dévoués avec autant de courage à l’aide des libérateurs. » Nul écho de l’émission dans le numéro de La Vie du Rail paru après l’émission. Mais une simple et sans doute opportuniste évocation des « Vingt-deux années d’activité sociale de Résistance-Fer ».
C’est donc un plateau exceptionnel qui est formé : « Ici nous sommes la phalange de ceux qui ont eu de la chance, car il a fallu de la chance pour s’en sortir », rappelle Armand, évoquant plus de 800 cheminots fusillés et  2 000 déportés qui ne sont pas revenus. « Nous sommes ici cinq compagnons de la Libération réunis », rappellera aussi le général Dejussieu (8).

L’organisation Résistance-Fer, sujet à polémique possible, est brièvement évoquée, « postérieure à la Libération » (Noguères) ; « Le mot Résistance-Fer date juste d’après la guerre », confirme Louis Armand (9).
Aux téléspectateurs perplexes sur la véracité de certaines scènes, Armand répond que « la plupart […] sont véridiques puisque René Clément les a choisies dans un album qu’on lui avait présenté ». Et s’il y a eu quelques inventions, on a cherché à ce qu’elles soient réalistes, telle la fameuse scène des cheminots fusillés pendant que les mécaniciens font siffler leurs locomotives : « Des cheminots fusillés délibérément ? non ! cette scène résulte d’une synthèse » (Armand). Le film mélange même dans le désordre des épisodes empruntés aux diverses phases successives de la Résistance : « On n’a pas fait un film d’histoire ! », rappelle Louis Armand ! Chargé de répondre aux nombreux téléspectateurs étonnés du contrôle peu important exercé par les Allemands, posément, Hernio en profite pour faire plusieurs mises au point. D’abord sur ces surveillances. Le chemin de fer était «surveillé par les occupants, par une police spéciale, mais aussi par des auxiliaires. Il faut savoir qu’en 1940, avant l’arrivée des Allemands en France, chaque cheminot en activité de service était fiché. Ces fiches ne consistaient pas à évaluer la valeur professionnelle de chaque cheminot, mais surtout à évaluer son opinion politique, syndicale… Ces fiches ont notamment servi à établir des listes de suspects qu’il fallait, selon les indications données, mettre hors d’état de nuire, et en premier lieu de ces suspects, il y avait les communistes et les syndicalistes. […] Ces fiches ont servi, quand les Allemands sont arrivés, à désigner des otages qui généralement étaient fusillés, et aussi à déporter de nombreux cheminots qui ne sont pas revenus des camps de la mort […]. Ceci démontre que, pour le moins, la Résistance n’a pas été une partie de plaisir ; il a fallu faire beaucoup de sacrifices, et, malgré tout ce mouchardage scientifiquement organisé, la Résistance a été créée, elle s’est développée, même amplifiée, et n’a cessé de grandir à partir de l’Occupation. » Ce clou qui vise la direction coupable de la SNCF étant bien enfoncé, toujours posément, pathétiquement même, Hernio critique en-suite un film ignorant le rôle joué par le parti communiste, les FTP et la Fédération illégale des cheminots : « J’aurais aimé que, du reste, dans ce film, c’était peut-être difficile, figure le rôle…, l’importance du rôle joué par ces trois organisations. J’aurais aimé que, par exemple, un homme comme Pierre Semard figure dans ce film, qui pendant longtemps a été le dirigeant de la Fédération et membre du Conseil d’administration de la SNCF, qui a été fusillé en mars 1942, qui, dans sa dernière lettre, appelait les cheminots à la résistance. Dans ce film aussi, j’aurais aimé que la grève du 10 août, organisée par la Fédération illégale, toutes tendances confondues, soit évoquée, parce que non seulement elle a été le couronnement de toutes les actions multiples – au prix de quels sacrifices ! –, mais elle a été aussi le point de départ de la grève générale, qui a été suivie, à l’appel du Comité parisien de Libération, par l’insurrection à laquelle bien sûr ont participé les cheminots. » Mais Hernio s’accorde tout de même avec ses interlocuteurs pour indiquer que « la Résistance dans les chemins de fer [a été] l’œuvre de toutes les organisations de résistance, auxquelles appartenaient les cheminots, où les cheminots étaient influencés par les diverses organisations de résistance. Voilà ce que je voulais dire. » Aucune réplique n’est apportée à ces critiques. Armand rebondit plutôt sur les trois sortes de surveillance qu’avait connues la SNCF : « Des cheminots allemands, mis sous uniforme, en nombre assez important, contrôlaient tout le fonctionnement du chemin de fer ; très vite, ils ont été débordés et il était assez facile de tourner leur surveillance. Mais ces cheminots étaient surveillés eux-mêmes par la Wehrmacht toutes les fois qu’il y avait des trains militaires en jeu […]. Et puis il y avait la Gestapo, qui conduisait les opérations policières dont parle Hernio, qui surveillait les cheminots surtout du point de vue du renseignement. Celui qui me surveillait s’appelait le Führer der Führer car il avait été le mécanicien de la locomotive d’Hitler. » C’est plutôt Lacombe qui répondra à fleurets mouchetés à Hernio : « Je voudrais prendre la défense du film La Bataille du Rail parce que notreami a l’air d’insinuer que l’objectivité du film est trop forte si je puis dire. Car je crois au contraire que le réalisateur a eu raison de rester sur un certain sommet, car, tout en rendant hommage à Semard et tout en reconnaissant l’utilité de la grève des cheminots en 1944, la résistance n’a pas été l’apanage d’une catégorie de Français ou de cheminots. La Bataille du Rail est un très bon film parce qu’il respecte cette objectivité. » Où l’on retrouve ainsi évoquée la vertu de René Clément consensuellement reconnue, pour faire un film transcendant les clivages politiques.

Sur les pratiques des cheminots résistants, Lejeune, chef des opérations militaires dans les Ardennes autour d’Hirson, souligne « les deux visages de la Résistance » dans les chemins de fer : d’abord le renseignement, plutôt l’apanage des cadres tel Louis Armand, puis le sabotage du matériel, l’œuvre de tous les cheminots, qui, tous les jours, étaient bien placés « pour visionner tous les risques. » Au début, « isolé, je me suis battu avec mes connaissances personnelles : avec une clef à tire-fonds, j’ai déboulonné un rail », et c’est ainsi que, de fil en aiguille, « je suis devenu un technicien en la matière puisque j’ai réussi à détruire 37 trains, une sous-station et deux grues ». Et de rappeler ses techniques de sabotage : « Les cylindres extérieurs HP des locomotives constituaient les points les plus sensibles, comme leurs tiroirs, mais aussi et surtout la plaque tubulaire des locomotives froides : il fallait des mois pour la réparer tandis qu’un cylindre, ça se remplace tout de suite ! » Autre point sensible, les robinets de purge pour le TIA (10) : « Une charge d’explosifs à la purge et la loco se vidait de tout son liquide ! » Tandis que, pour saboter la voie, « une bonne clef vaut mieux que l’explosif : ça fait pas de bruit, ça va très vite, avec des résultats garantis à 100 % ».
Hernio, à son tour, livre une savoureuse histoire : « À Achères, dans une nuit, on a brûlé tous les manches de pelle sur les locos en prenant la précaution de faire disparaître tous les manches qui étaient en magasin ! Et le matin, quand la première équipe de mécanicien et chauffeur est arrivée, alors le chauffeur monte sur la loco tandis que le mécanicien tape sur les boîtes d’essieux. Le chauffeur informe le mécanicien de l’absence du manche. “Va voir sur une autre locomotive, tu trouveras bien une pelle !” Immédiatement, le chauffeur va sur une autre locomotive et il s’écrit : “Là aussi, il y a une pelle mais sans manches !” Et comme ça sur toutes les locos ! Résultat : pendant plusieurs heures, les locos sont restées paralysés et donc inutilisées. » Des pelles précieuses, qui frappèrent l’attention de Henri Noguères : sur la ligne des Cévennes, « lorsque nous arrêtions un train pour le faire sauter dans un tunnel, non seulement les cheminots étaient dans le coup, mais ils demandaient toujours en descendant de leur machine, à sauver leur panier et surtout leur pelle ».

La psychologie des roulants est encore évoquée, en réponse notamment à la question des téléspectateurs : « Les mécaniciens et chauffeurs étaient-ils conscients que leur train allait être saboté ? » Hernio : « J’ai connu un cas à Longueau, le seul que j’ai connu. Tel jour, à telle heure, nous allions faire dérailler tel train. J’en informe le responsable local. Il sort son calepin : “C’est moi qui fais ce train… c’est moi qui le ferais.” Il l’a fait, il est monté… et là, trois minutes après, il a crié à son compagnon “Cramponne-toi !”, la machine a basculé. Il a perdu un œil. J’appelle ces gens-là des héros ! » Lejeune : « Deux heures avant une action, je ne savais pas où j’allais faire sauter la voie. Il m’était très difficile de prévenir le mécanicien, et de toute façon, je ne l’aurais pas fait. Comment prévenir un mécanicien que “tu vas sauter ?” […] Cela m’aurait gêné de les informer, car l’instinct de conservation jouant, le mécanicien aurait pu ne pas laisser aller son instinct naturel, son amour du métier : appliquer le règlement, rouler à 60 km à l’heure… »
Et d’évoquer une seconde raison de ne pas prévenir le mécanicien : « Le risque d’insécurité pour nous ! Car il y a eu des délateurs à la SNCF. » « J’ai fait dérailler 37 trains au total, mais avec un seul agent tué ! C’était le 7001, le train de minerai, tiré par une 150 Est et une 5000 Nord, sur la ligne Busigny – Saint-Quentin – Charleroi ; il y avait en queue un fourgon-dortoir. J’avais coupé les voies. Le lendemain, j’apprends qu’il y a eu un chauffeur écrasé… » Suite à une « évolution », « le fourgon-dortoir en bois dans lequel il se trouvait avait été reporté entre la locomotive et le train de minerai », et donc « écrasé comme une allumette ». Armand : « Jamais les roulants ne se sont plaints de ce fait malgré la propagande qui les poussait contre les saboteurs, contre les “criminels”. Cela m’a beaucoup frappé, jamais ils ne se sont prêtés à cette propagande. Plus beau encore, lorsque les balles explosives tirées par des Lightning silencieux les frappaient dans leur dos ! J’ai demandé au dépôt de Caen que pour un train qui était régulièrement tiré comme un lapin, seuls des célibataires participent à son roulement. J’ai eu un mécanicien du dépôt de L’Aigle qui a eu la jambe coupée. Le visitant à l’hôpital : “Dites donc, chef, ils vont bientôt débarquer quand même ?” » Les spécificités de l’engagement plus large de l’ensemble des cheminots dans la Résistance sont soulignées : « L’atmosphère était très favorable [à la Résistance] au sein du monde des cheminots » (Lacombe) ; « il y eut extrêmement peu de dénonciations directes», souligne Armand, évoquant en particulier cette quête organisée au vu et au su de tous au dépôt de Chalon-sur-Saône : pour acheter des cuissardes en caoutchouc destinées aux individus cachés dans les tenders pleins d’eau, « tout le monde passait à la caisse et personne ne disait rien ». « Les cheminots constituent la catégorie socioprofessionnelle dont le pourcentage de résistants a été le plus important, j’en suis convaincu ! », pointe Noguères, repris par Armand, qui insiste sur leur « obéissance », comme le lui avait clamé le chef des FFI, le général Koenig : « S’il y a eu [des résistants] aussi courageux que les cheminots, il n’y en a pas eu d’aussi obéissants ! » À l’actif de l’action des cheminots, on souligne qu’elle a permis de limiter les dégâts en pertes humaines : « Si les Alliés n’avaient pas eu à disposition les cheminots agissants, vous auriez eu des bombardements effrayants ! […].

En 1944, j’ai dénombré 240 familles tuées à Hellemmes… » (Lejeune). Alors que les Alliés ont bombardé La Chapelle, du moins « on a réussi, grâce à l’intervention personnelle de Churchill, à épargner le bombardement des Batignolles » (Armand). C’est Degliame qui souligne l’efficacité supérieure des sabotages : « J’ai fait partie d’unemission en Suisse auprès des attachés militaires des Alliés pour leur montrer que les effets de la Résistance étaient bien supérieurs aux bombardements des sites ferroviaires. Avec le général Pontcarral [nom de résistance de Dejussieu], on a rencontré Allan Dulles, le frère de Foster. On a tellement bien réussi à le convaincre que tu as acheté un appareil de photo Minox destiné à faire des photos des objectifs et à montrer les résultats qu’on était capable d’obtenir, meilleurs que les leurs, et obtenus à meilleur compte aussi bien pour eux que pour nous ! » Sur le Plan vert, des précisions sont apportées par deux protagonistes. Armand : « C’était un plan concernant tous les transports en général, mais on a eu un plan plus particulier pour la SNCF : encager le débarquement. » En effet, précise Ledoux, pour les transports ferroviaires, à la SNCF « on a trouvé un ingénieur en chef à qui confier cette mission stratégique ». À la suite d’une rencontre clandestine avec Louis Armand, avenue de la Bourdonnais, cette mission se résumait en une page : « Interdire tout transport dans un intervalle compris entre Loire et Meuse. » En effet, « les Allemands n’ont ainsi rien pu faire circuler vers le front de Normandie. Et c’est à ce moment qu’on a pu dire qu’il y avait vraiment un “PC de sabotages chemin de fer”. C’était bien plus difficile au début », indique Armand.

En fin d’émission, trois brèves questions résumées par Alain Jérôme appellent de courtes réponses. « Qui conduisait les trains des déportés ? Les cheminots ont-ils empêché beaucoup de ces trains de parvenir à destination ? » C’est Lejeune qui répond très brièvement : « Oui, effectivement, tous les trains de déportés ont été conduits par des cheminots. C’était un cas de conscience pour eux », faisant en sorte d’arriver trop tard, essayant de limiter les dégâts. Et d’évoquer comment lui-même, déporté, a bénéficié de l’action réussie de résistants belges « qui ont fait sauter les voies devant nous », du côté de Bruxelles, permettant la libération des 1 245 condamnés à mort du convoi. « À Compiègne, des exemples comme ça existent aussi. » Hernio complète : « La grève du 10 août a permis précisément d’immobiliser des trains de déportés qui devaient partir vers l’Allemagne. » On reste donc aujourd’hui sur sa faim quant aux brèves réponses à cette question qui revêtira, une quinzaine d’années plus tard, une importance historique et judiciaire considérable… C’est encore Lejeune qui répond à la question du sort des otages cheminots pris après les attentats, lors de la tragédie d’Ascq notamment. « J’y étais. C’est une fusée qui a chauffé, qui a donc mis le feu à un wagon, qui a explosé, et donc le train a dû s’arrêter […]. Hélas, les Allemands ont cru à un sabotage », et fous furieux, ils ont massacré les requis qui devaient surveiller la voie ainsi que plusieurs habitants.

Les Alliés ont-ils pu utiliser immédiatement après le débarquement un réseau ferré aussi meurtri ? Armand rappelle les responsabilités (« on avait fait beaucoup de sabotages, mais ce n’était rien à côté des 60 000 tonnes de bombes déversées sur les 40 000 kilomètres des chemins de fer français »), avant d’évoquer la reconstruction du réseau : « On avait avisé le quartier général allié de ce qui pouvait être remis en ordre plus ou moins rapidement. » Prompte reconstruction accomplie « avec le cœur des cheminots », tous remis à l’ouvrage ! En charge de la conclusion, Dejussieu rappellera la déclaration flatteuse du général Eisenhower, à savoir que « la résistance intérieure avait eu une action équivalente à celle de 15 divisions supplémentaires qui auraient été débar-quées ». « Que les cheminots soient remerciés de cet effort pour lequel le pays leur saura toujours gré. » Tel fut le mot de la fin, sincère hommage rendu à la corporation du rail.

Au cours d’une heure et demie de débat, le film projeté, ses qualités cinématographiques et son réalisateur passèrent donc au second plan, au profit d’un échange de témoignages d’un très grand intérêt entre d’anciens résistants de haut vol, en majorité sexagénaires… Notamment, on peut découvrir cet exceptionnel face-à-face entre un Louis Armand, rayonnant à la fois de bonhomie et d’autorité, et un Robert Hernio en position minoritaire autour de la table, mais nullement intimidé par la caméra et ses interlocuteurs, pour rappeler l’important non-dit qui hante la magie trop consensuelle de La Bataille du Rail.

Georges RIBEILL



Sur le même sujet

  • Une nouvelle vie pour le dépôt de Mohon

    22 avril 2024 - Matériel

    Désaffecté depuis 1995, le site de Mohon a bien failli perdre sa finalité ferroviaire. Aujourd’hui, de nouvelles perspectives devraient permettre d’y maintenir une activité directement liée au rail.   Quand on se...

  • Suisse : les Trains d’extinction et de sauvetage

    08 avril 2024 - Matériel

    CFF Infrastructure met en oeuvre une organisation professionnelle, des sites et des matériels dédiés pour intervenir, consécutivement à une grande variété de dérangements directement dans ou à proximité directe des emprises ferroviaires....

  • © Marc Carémantrant

    T 12 ENFIN UNE VRAIE LIGNE DE TRAM-TRAIN EN ÎLE-DE-FRANCE

    06 avril 2024 - Matériel

    Le 10 décembre, un nouveau tram-train est entré en service en Île-de-France. Cette ligne T 12 présente plusieurs particularités et notamment celle d’être une vraie ligne de tram-train.   S’il...

  • © N. Masson

    LE SERVICE HORAIRE 2024

    18 mars 2024 - Matériel

    Si ce service horaire n’apporte pas de changements majeurs, il faut noter que les TER poursuivent le renforcement de leurs fréquences sur les lignes les mieux dotées. La Nouvelle-Aquitaine se...

  • Z 2N : déjà 40 ans

    12 mars 2024 - Matériel

    Les Z 5600, premières rames automotrices à deux niveaux, se lancent sur les lignes de la banlieue parisienne en 1983. De par leur capacité, les Z 2N séries 5600, 8800, 20500, 92050...

  • © C. Masse

    Des Mikado françaises en Suisse

    04 mars 2024 - Matériel

    La vente des locomotives 141 R 1207 et 1332 Le propriétaire privé Ralph Schorno à Göschenen vend les éléments de ses locomotives à vapeur françaises de fabrication américaine 141 R...

Commenter l'article

NOS NEWSLETTERS

  • La lettre du cheminot

    Chaque semaine, recevez les infos les plus populaires dans le monde des cheminots actifs

  • La lettre du groupe

    La Vie du Rail vous informe de ses nouveautés, la sortie de ses magazines, livres, événements ...

  • La News Rail Passion

    Recevez toutes les actus du magazine, les dossiers spéciaux, les vidéos, le magazine dès sa parution

  • La Boutique

    Nouveautés, offres exclusives, faites partie du club privilégiers des clients de la boutique de la Vie du Rail

  • Photorail

    Recevez une fois par mois nos actualités (nouvelles photographies ou affiches touristiques rajoutées sur le site) et nos offres ponctuelles (promotions…)

EN SAVOIR PLUS