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Ambérieu, Musée du Cheminot

4 juillet 2012
- -
Par : Gérard Joud, président du musée du Cheminot d’Ambérieu.

Cette ville qui compte 14 000 habitants aujourd’hui, doit l’essentiel de son développement économique et industriel à l’implantation du chemin de fer en 1856. Bien peu se souviennent de ce premier élan qui fit entrer ce bourg agricole, vivant chichement d’une économie de subsistance dans l’ère moderne. Et cette grande épopée perdure de nos jours, en diminuant toutefois d’intensité comme en bien d’autres cités cheminotes. Cette mémorable période où toute la ville vivait exclusivement du et pour le chemin de fer a laissé des souvenirs dans les mémoires et d’innombrables objets, outils, documents et autres archives qu’il convenait de préserver.

Sauver la mémoire du passé ferroviaire d’Ambérieu, conserver les outils et les techniques employés, reconstituer les lieux de vie et de travail, voilà bien les idées maîtresses qui animaient une poignée de cheminots entourés de quelques « étrangers » à la profession, mais tout aussi mordus ! C’est ainsi qu’en 1986, ces passionnés d’histoire ferroviaire locale ont bien voulu mettre en commun à la fois leurs collections personnelles, leurs connaissances… et leur temps avec comme ambition l’ouverture d’un musée. C’était plus vite dit que fait évidemment ! Pour donner force à cet ambitieux projet, il convenait d’abord de fonder une association régie par la loi du 1er juillet 1901 : ce fut fait le 9 octobre 1987. Des cheminots nous ont rejoints… mais pas tous, en tout cas pas autant que nous l’espérions ! Encore fallait-il disposer de vastes locaux pour concrétiser l’ambition ! L’idée première fut évidemment d’implanter ce musée dans un lieu tout désigné : la rotonde partiellement désaffectée du dépôt. Malgré la bonne volonté des dirigeants SNCF des années 1980, ce projet n’a pas pu aboutir pour diverses raisons : activités ferroviaires incompatibles avec la présence du public, réhabilitation coûteuse des lieux, normes de sécurité, accessibilité… Alors il a fallu se tourner vers d’autres organismes pour trouver ce local.

Finalement, la ville d’Ambérieu, consciente de l’intérêt que pouvait présenter un tel musée pour sa notoriété et la conservation de son patrimoine ferroviaire, a bien voulu mettre à la disposition des bénévoles, dès octobre 1987, un premier local.
Modeste à ses débuts, mais premier du genre dans toute la région, le musée du Cheminot a ouvert ses portes au public dès la fin de l’année 1987. Dès lors, il a connu un succès qui ne s’est jamais démenti. Ce local initial, peu propice par sa configuration à recevoir un musée, est délaissé dès novembre 1988 pour intégrer l’ancienne coopérative du PLM d’Ambérieu. Voilà le musée du Cheminot implanté dans un lieu imprégné de mémoire ferroviaire. Grâce au bon vouloir des municipalités successives, le musée du Cheminot va pouvoir disposer d’un vaste bâtiment offrant 1 000 m2 d’exposition au public. Nous voilà à sa porte !
Allez, entrez ! Poussez sans hésiter la porte du musée. Une équipe de bénévoles vous attend et vous assure un accueil personnalisé, une visite guidée et commentée où les anecdotes et commentaires sur les métiers cheminots sont légion.
Dès le seuil franchi, l’ambiance véridique, fidèle, accapare le visiteur et le plonge d’emblée dans l’univers ferroviaire.
Mêmel’odeur caractéristique des objets du chemin de fer a fini par imprégner les lieux, comme pour en confirmer l’authenticité.

Sous l’œil sévère d’un chef de gare PLM dissimulé derrière son guichet, aussi rigide dans son bel uniforme qu’un règlement de sécurité,
vous voilà dans l’ambiance. Le pèse-personne rappelle l’époque héroïque où l’on se pesait sous le regard intéressé des voyageurs. Beaucoup se pesaient non pas pour connaître leur poids mais pour obtenir le célèbre ticket cartonné représentant une locomotive. « Pas de chance, je l’ai celui-là ! », disait-il sans même prendre le temps de lire son poids qu’un timbre sec avait imprimé au dos du ticket. Les collectionneurs de ces fameux tickets n’hésitaient pas à remettre une pièce de 20 francs que la machine avalait goulûment. Vous en verrez de ces tickets au musée : ils réveillent des souvenirs ! Le distributeur de confiseries n’est pas en reste pour attirer le chaland avec ses belles boîtes d’Anis de Flavigny ou ses chocolats Menier. Mais avec lui, il vous faudra sortir une pièce de 100 francs, ce qui n’est pas rien en 1950.

Nous voilà dans la grande salle. Une petite hésitation, comme une retenue imperceptible, se lit sur quelques visages des visiteurs ou des dames. Face à toutes ces pièces mécaniques d’aucuns s’inquiètent sur la suite de la visite. Le guide va-t-il nous entraîner dans des explications techniques, définitivement hermétiques aux non-initiés de l’entreprise ferroviaire. Mais non, il rassure son groupe avec l’habilité donnée par l’expérience. « Nous allons essentiellement parler des hommes, de ces anciens cheminots qui ont travaillé dans les chemins de fer et nous ont laissé leurs outils et leur savoir-faire », dit-il. Et aussitôt d’ajouter : « Nous évoquerons leur condition de vie et de travail, toutes choses qui devraient intéresser tout le monde, y compris ceux qui n’ont jamais entendu parler du chemin de fer ». C’est fait, tout le groupe est rassuré, prêt à suivre la visite avec profit.

Comme il faut bien commencer par le commencement, le guide retrace brièvement les origines du chemin de fer qu’il faut obligatoirement situer chez les Anglais puisque nous leur devons tant dans ce domaine. Après cet intermède chez la « perfide Albion », comme disaient si élégamment les chroniqueurs de l’époque, pour parler de l’invention des chemins de fer, retour en France. 1827 : Saint-Étienne – Andrézieux, première ligne en France, tous les passionnés d’histoire ferroviaire savent ça ! 1832 : Saint-Étienne – Lyon, deuxième ligne où l’on voit circuler les premières machines à vapeur de Marc Seguin. Voilà qui nous rapproche singulièrement du département de l’Ain et d’Ambérieu en l’occurrence. L’ouverture des premières lignes à proximité du département de l’Ain eut une influence prépondérante dans l’établissement de la ligne Lyon – Genève qui passera par Ambérieu. Mais il faudra tout de même attendre le 23 juin 1856 pour voir arriver en gare d’Ambérieu le premier train tout essoufflé de son long parcours de 50 km. Et le destin d’Ambérieu bascule ! Enfin, pas immédiatement et surtout pas brutalement comme on le pense parfois. L’Ambarrois a du mal à quitter cette terre qu’il aime, même si elle ne lui rend pas toujours tout ce que sa sueur mérite.

Pour faire saisir l’évolution de la cité, les guides du musée du Cheminot n’hésiteront pas à parler des Ambarrois d’avant le chemin de fer. Progressivement, ce sera fini de la vie en quasi-autarcie rythmée par le cycle des saisons, des moissons et des vendanges. Car à Ambérieu, en ce milieu du XIXe siècle, on est paysan-vigneron depuis des siècles, sans alternative. Si l’on ne veut pas piocher les terres ou les vignes, il faut s’expatrier. Et voilà subitement des ingénieurs de la Compagnie – titre éminent s’il en est – qui proposent des emplois rémunérés mensuellement, avec des jours de repos dans le mois et même des congés payés. Oh ! pas très bien payés d’accord, et des congés parcimonieux, mais pour celui qui n’a jamais connu ça, si ce n’est pas l’Amérique, ça y ressemble ! Pour les plus téméraires ou les plus dégourdis, les voilà faits cheminots porteurs d’uniformes à faire pâlir ceux restés paysans ou vignerons. Sans parler du regard des filles à marier qui voient dans ces hommes nouveaux l’occasion d’échapper aux servitudes de la terre.

C’est tout cela qu’un guide au musée du Cheminot explique, commente, développe bien au-delà des explications techniques et ardues auxquelles nombre de visiteurs s’attendent. « Avançons jusqu’aux cabines de conduite des locomotives à vapeur », propose le guide. Les yeux s’extasient devant la cabine de la 141 C et il suffit de lire dans les regards interrogateurs pour connaître la question : d’où provient une cabine pareille ! Elle est l’œuvre des membres du musée à l’exception des appareils qui eux sont absolument authentiques. Comment refaire un injecteur, une commande de régulateur, les robinets, les manos, les tubes à niveau d’eau… Forcément qu’ils sont authentiques tous ces appareils et à leur place s’il vous
plaît, au millimètre près, conformément aux plans. Les mannequins symbolisant le mécanicien et le chauffeur, voilà bien le support idéal pour parler des hommes de l’équipe de conduite. Et on n’oublie jamais les hommes au musée en rapportant fidèlement les histoires, les anecdotes, les anicroches et autres incidents laissés par nos aînés.

Un peu plus loin, voilà la cabine de la 141 R toujours à l’échelle 1, avec tous les perfectionnements et facilités qu’elle apporte aux équipes par rapport à une machine plus ancienne. Certains les aimaient ces machines, d’autres moins… Utilisées en banalité, elles n’auront pas connu l’attachement viscéral qu’une équipe portait à « sa » machine. Mais elles ont rendu de tels services qu’il serait bien ingrat de les oublier.

Laissons les équipes vapeur à leur tâche et poursuivons la visite.
Si le lampiste campé dans son antre ne nous tend pas les bras, il nous attend gentiment dans sa lampisterie. Environné de lanternes à pétrole, de lampes à acétylène, à huile, à bougie, il est chez lui, dans son univers qui sent le pétrole et l’odeur âcre de l’acétylène. « Danger d’explosion ! », lit-on sur sa porte : personne ne rentre chez lui avec une flamme ou un objet en ignition. Qui se souvient encore qu’autrefois cet homme était capable de fabriquer une lanterne avec des outils rudimentaires, quelques feuilles de tôle ou mieux de laiton ou de cuivre. Une qualification que les Compagnies lui ont progressivement retirée en s’approvisionnant dans le commerce. Dommage c’était quelqu’un autrefois un lampiste ! Grâce à moi « ça brille de partout », disait-il. Enfin, n’exagérons rien : « ça brille ! », pour son époque ! Aujourd’hui, nous avons du mal à croire que les cheminots travaillaient la nuit, à la lueur de ces faibles lumignons. Et pourtant, ils travaillaient ! Il faudra attendre 1949 pour voir arriver les premiers modèles des lanternes électriques. C’était hier !

Le guide invite maintenant les visiteurs à porter un regard attentif et admiratif vers les poseurs, ces oubliés du chemin de fer. Un bref rappel de leur histoire n’est pas inutile. Aux premiers temps des chemins de fer, c’est-à-dire vers 1830 et longtemps après, les Compagnies eurent besoin d’une armada d’hommes pour poser les voies (d’où leur nom) puis ensuite les entretenir, les réparer, les renouveler. Et tout ceci à la main évidemment et par tous les temps. Alors il leur fallait des costauds, des hommes durs à la tâche pour faire ces travaux pénibles. Où trouver de tels hommes sinon dans les campagnes parmi ceux habitués à piocher, pelleter, brouetter toute la journée. Le service VB en fit pendant 120 ans des cheminots satisfaits de leur sort, sans grandes revendications, jusqu’à ce que les engins mécanisés ne viennent les remplacer. Ingratitude des temps modernes qui oublient facilement, grâce à la mécanisation, le labeur quotidien de générations de poseurs qui ont permis aux trains de circuler en toute sécurité. Au musée du Cheminot, ils ne sont pas oubliés ces poseurs. Une voie reconstituée à partir d’éléments anciens (dés en pierre avec rails primitifs) met en scène ces hommes de la voie. Hommage à leur travail fastidieux, difficile, fatiguant mais, ô combien, indispensable au bon fonctionnement du chemin de fer. C’est tout cela qu’un guide est capable d’expliquer pour captiver l’attention de ses visiteurs.

Laissons les poseurs et avançons jusqu’à l’atelier-forge parfaitement restitué avec des machines d’époque.
Les amateurs de machines-outils anciennes apprécieront. Même les arbres de poulies sont là pour descendre la force motrice sur les machines à l’aide d’antiques courroies de cuir. Un exceptionnel régulateur de Watt est présent pour régulariser
le mouvement rotatif fourni aux machines. Il intrigue bon nombre de visiteurs et amène moult questions.
Un tour de 1875 miraculeusement sauvé de la ferraille, une perceuse et un étau-limeur de la fin du XIXe siècle, une fraiseuse qui a oublié son âge tellement elle est vieille, des outils à main et des mannequins pour les animer.
C’est dans ces ateliers qu’autrefois les hommes construisaient le matériel roulant (machines à vapeur, voitures, wagons et tout le reste) à l’aide d’engins qui nous paraissent si archaïques, tellement dérisoires. Serions-nous capables, avec le même matériel, de réaliser de telles prouesses ? Certainement pas car nous avons perdu les tours de main nécessaires.
Et ce mannequin symbolisant un apprenti s’initiant au fonctionnement d’une perceuse sensitive. « Les temps sont durs pour les arpètes », soulignera le guide.
Durs en effet sont les anciens avec les jeunes qui tentent de se faire une place dans une équipe composée de rudes compagnons. Les compétences techniques, professionnelles sont là, incontestablement détenues par ces ouvriers qualifiés. En revanche, détiennent-ils les qualités pédagogiques pour transmettre ce savoir aux plus jeunes ? C’est une autre affaire.
Ont-ils seulement la volonté de le transmettre ce savoir ? Non, chacun jalouse parfaitement ses connaissances et, à quelques exceptions près, nul n’a envie de les transmettre.
« Dur, dur, pour les jeunes », dit le guide et il a raison. Passons à la forge attenante à l’atelier. Indispensable, le maître forgeron, au bon fonctionnement de l’atelier. C’est l’homme de l’art des métaux, celui qui les connaît parfaitement et sait reconnaître les différentes natures d’acier qu’un profane prendra pour un vulgaire bout de ferraille.
Dans son antre où rougeoie un feu permanent, il travaille les métaux et les porte à la bonne température qu’il apprécie à la couleur (rouge sombre 720°, rouge cerise 750°, orange clair 950°, jaune blanc 1 200°, blanc éblouissant 1 300° correspondant à la fusion qu’il ne faut donc pas atteindre) avant de les travailler. Qui sait encore cela ! Et les outils accrochés aux râteliers ! Pour la plupart, ils sont « fabrication maison » par le maître forgeron. C’est encore lui qui soudera deux pièces à la forge. Plus personne ne sait le faire !
                                                                                                                                                                                 

  
Laissons ces hommes à leur travail et pénétrons dans la salle des pupitres. Les yeux s’écarquillent, j’en ai vu souvent, car la surprise est de taille. Ici, les membres du musée ont patiemment remonté des pupitres complets de locomotive, récupérés sur des engins destinés à la démolition. 80 ans de pupitres de locomotives s’exposent sous les yeux des visiteurs.
Le tour de la salle commence avec le pupitre de la Z 200, conçu par l’ingénieur Auvert en 1901, pour terminer avec celui de la BB 25200,série emblématique ferraillée récemment. Le pupitre de la CC 6500, série phare s’il en fut, est présent et fonctionnel, celui de la 2D2 9100 impressionnant par ses dimensions et encore celui rarissime de la 1CC1 3700 Maurienne… Les postes d’aiguillages sont présents dont celui, unique, commandant la section à deux voies banalisées s’étendant entre Dijon et Blaisy-Bas. Il a été remplacé par un poste informatisé.

Nous voilà à présent face à deux pupitres entièrement fonctionnels y compris avec le panto qui monte et descend au gré du mécanicien. Explications du guide sur les principes de fonctionnement d’une locomotive électrique en l’occurrence une CC 7100 : « En m’appuyant sur des démonstrations simples et claires tout le monde va comprendre les principes de fonctionnement », dit-il. Regard incrédule de certains, sourire des dames qui hésitent à s’éclipser mais restent finalement. Elles ne seront pas les dernières à avoir tout compris à l’issue de la démonstration. Voilà le groupe tout ouïe pour comprendre l’élimination d’un rhéostat au couplage série, puis au couplage parallèle, suivi des subtilités du shuntage.
Mais alors, là, je crains que certains décrochent. Restons dans les grandes lignes, comme précisé en début d’exposé.
À la fin, la majorité a compris et se déclare fort satisfaite de savoir comment fonctionne une locomotive électrique.
Le frein lui aussi est fonctionnel déclare péremptoirement le guide.
Mais bon, n’exagérons pas les commentaires, la démonstration suffira pour expliquer comment on arrête un train.
Les distances d’arrêt vont en surprendre plus d’un. « Un train ne peut pas s’arrêter avant une voiture immobilisée sur un passage à niveau », déclare le guide. « Ah bon ! », s’étonne un visiteur. « Non Monsieur, jamais !»

Et on passe sur le pupitre de la BB 8100. Même époque à
peu de chose près, mêmes principes électriques, mais ici on trouve la
Vacma, la radio sol-train, la répétition acoustique des signaux… Ah ! la
Vacma tous les visiteurs sont friands de savoir comment un train
s’arrête en cas de défaillance du mécanicien. « Quand je suis derrière
la cabine j’ai entendu quelques fois ces sons », dit un jeune homme
manifestement intéressé par ce dispositif. Ils repartiront tous rassurés
de savoir qu’en cas de défaillance du mécanicien, le train s’arrête
tout seul. « Et celui qui arrive derrière, il va lui rentrer dedans ! »,
déclare un autre peu au fait de la signalisation.

« Non Monsieur, il y a des signaux pour aviser le mécanicien suivant ».
Le guide invite son groupe à progresser jusqu’à la station suivante : « Si vous voulez bien avancer jusqu’au poste d’aiguillage, nous parlerons de nos collègues les aiguilleurs ».
Nouvelle découverte pour les visiteurs qui ne « fatiguent » pas. L’expérience montre vite au guide attentif s’il y a lieu d’avancer plus vite ou s’il est temps d’arrêter. Il suffit de lire sur les visages… Pour le moment ça suit ! Alors, les leviers Saxby s’animent et commandent des signaux qui s’ouvrent ou se ferment, des aiguilles qui translatent… Feux jaune, rouge, vert,maquette du bloc automatique pour montrer l’espacement des trains, c’est tout cela que le guide doit expliquer avec des mots simples, compréhensibles par tous, y compris ceux qui n’ont jamais entendu parler de signalisation. Tâche rude, répétitive mais passionnante que de transmettre son savoir… C’est cette foi qui anime les guides du musée.

« Suivez-moi par la montée d’escaliers où nous allons retrouver à l’étage nos cheminots dans leurs lieux de vie et de travail ». Voilà plus d’une heure que la visite a débuté et il convient de rester persuasif pour ne perdre personne en route !
De nouveau, les yeux s’écarquillent. Très peu de visiteurs s’attendent à trouver un musée aussi riche avec toutes ces collections présentées par thème, chaque objet à sa place, à l’emplacement qui lui était assigné quand il servait réellement. C’est un des soucis majeurs des responsables du musée que de présenter les pièces de collection dans leur contexte.
Nous voilà face au bureau de gare équipé de son guichet-voyageurs, du guichet-marchandises et à l’intérieur tout le mobilier équipant une gare de 3e classe des années 1930-1940.

« Voyez cette reconstitution absolument fidèle d’un bureau de gare, le
chef de gare est à sa place, assis derrière son bureau sur sa chaise.
Autrefois, personne ne s’asseyait sur la chaise du chef de gare. Coiffé
de sa casquette blanche étoilée et ceint dans son bel uniforme à boutons
dorés, il a fière allure le chef de gare. Ne représente-il pas sa
Compagnie dans tous les événements importants de sa commune auxquels il
est toujours convié. Un personnage, le chef de gare d’autrefois vous
dis-je ! »

Continuons notre visite en observant le dortoir et le réfectoire des roulants. « Voilà deux reconstitutions qui plaisent énormément à nos visiteurs », déclare le guide. Arrêtons-nous devant le dortoir. L’équipe de conduite que nous avons rencontrée précédemment dans la cabine de sa 141 C vient de terminer sa période de travail. Les deux hommes ont quitté voilà plus de 10 heures leur dépôt d’Ambérieu et ils sont loin de chez eux (Dijon, Dole, Besançon,…). Après un débarbouillage sommaire, quelques heures de sommeil seront les bienvenues. « Voici une chambrette à deux lits destinée au repos d’une équipe de conduite. Elle montre les conditions de couchage offertes pendant les années 1940-1960 », annonce le guide. Antérieurement à cette période, les équipes prenaient leur repos dans des dortoirs comportant parfois plus d’une douzaine de lits. Les équipes se relayaient dans ces lits encore tièdes du précédent occupant, pour prendre un peu de repos. Bien sûr, on se levait ou se couchait à toute heure, en fonction du service assuré. Du bruit en permanence, des odeurs d’hommes ayant « mouillé la chemise », des brodequins odorants et des chaussettes pas toujours de première jeunesse posés au pied des lits, des hommes qui ronflent, d’autres qui tentent de s’endormir alors que le voisin se lève et enfile ses galoches, voilà ce qu’était un dortoir autrefois. Une ambiance dont on a totalement perdu l’idée aujourd’hui.
Il suffisait d’entendre les anciens évoquer cette époque pour comprendre. Ils ne sont plus là pour en parler ! Et c’est bien notre rôle d’en conserver le souvenir. Certains nous ont même raconté que pour échapper à l’ambiance du dortoir, si le temps le permet, ils préféraient dormir dans le charbon de leur tender, roulés dans quelques sacs. On veut bien les croire ! Le crachoir destiné à recevoir le jus des chiques n’aura pas échappé au visiteur attentif. Les hommes fument, prisent, chiquent – certains font les trois – alors il faut bien mettre à leur disposition le nécessaire. Et ne croyez pas qu’il faille « remonter aux Gaulois » pour retrouver l’usage des crachoirs. Les archives du dépôt d’Ambérieu contiennent une note de service signée en février 1962 par le chef de dépôt qui s’adresse aux femmes de ménage en leur rappelant l’obligation de nettoyer les crachoirs et de remplacer la sciure que l’on y mettait… Une belle plaque émaillée « Il est interdit de fumer dans les dortoirs et de cracher en dehors des crachoirs » rappelle cette époque héroïque.
Passons au réfectoire. La table est mise – c’est beaucoup dire – disons simplement qu’elle est couverte par les ustensiles utilisés par nos aînés. Les paniers d’osier et les sacoches en cuir sont posés sur des étagères fixées sur les petits côtés de la table.

C’est à la fois une tradition et un aspect pratique car il n’y a pas à
se lever pour « piocher » dans le panier. Les gamelles réchauffent sur
les réchauds à pétrole ou à essence (nous disons bien à essence et même à
essence sous pression), avant que les réchauds à gaz les remplacent.
Les litres de rouge et les « plates » en jargon local voisinent avec la
traditionnelle bouteille de Cointreau pleine de vin. Ce n’est pas le Cointreau qui les intéresse, ces hommes, c’est la forme de la bouteille.
Carrée, stable, pas trop haute elle est idéale pour se caler dans un
coin du panier. Et le morceau de bambou, que vient-il faire sur ces
tables ! Encore une invention régionale qui est dans toutes les
sacoches. Explication : un beau jour des années 1920,
plus personne ne sait exactement, un mécanicien prend la lubie de couper
un morceau de sa vieille canne à pêche en bambou et dans ce tronçon de
deux alvéoles il va mettre du sel d’un côté, du poivre de l’autre, les
extrémités fermées par deux bouchons en liège. En voilà une idée
lumineuse ! Un mois après elle avait fait le tour de la région et tous
les mécaniciens avaient leur morceau de bambou comme salière et
poivrière. La pratique, l’expérience, le bon sens procurent des
facilités dans la vie de tous les jours et résolvent bien des problèmes.

Un peu plus loin dans cette grande salle baptisée Maurice Margot, du nom d’un illustre directeur du PLM, voici oserai-je dire le clou de la visite : le cabinet médical. C’est un peu la fierté du musée du Cheminot dans la mesure où il s’agit – à notre connaissance – de la seule reconstitution d’un cabinet médical dans ce genre de musée. Belle occasion de rappeler que les Compagnies de chemins de fer furent des précurseurs dans les soins donnés à leur personnel. L’infirmière trône dans son bureau d’où elle gère les 2 150 dossiers de ses cheminots d’Ambérieu des années 1930-1940, ce qui, on en conviendra, n’est pas une mince affaire. Mitoyenne à son bureau, la salle des pansements où elle dispense ses soins infirmiers. À voir les appareils, le plus novice s’aperçoit rapidement qu’elle soigne également les épouses et les enfants de ses cheminots. Car il s’agit bien de ses cheminots. Elle connaît toutes les familles, l’infirmière, et se tient prête à apporter ses compétences pour soulager quelques soucis familiaux qui ne manquent jamais de survenir. Elle s’apparente à une assistance sociale, voire à une confidente, l’infirmière du dépôt. Le cabinet du docteur attend ses patients comme autrefois. Son mobilier et ses appareils médicaux authentiques ayant réellement servi au cabinet médical du dépôt d’Ambérieu restituent l’ambiance.




                                                               

Commencée depuis 1 heure 40, la visite se poursuit dans la salle Gilbert Bernard où sont réunies de belles pièces de collection (rares lanternes, équipements anciens des voitures, indicateurs-enregistreurs de vitesse…) et tant d’autres choses à découvrir. Deux grandes vitrines retracent le comportement héroïque de nos aînés cheminots Résistants pendant la Seconde Guerre mondiale.

La visite s’achève dans la mezzanine où le visiteur pourra admirer la reconstitution de la gare d’Ambérieu et s’extasier devant les trains jouets d’autrefois qui étalent dans des vitrines leurs belles tôles lithographiées.
À l’issue de ces deux heures de visite, on n’aura pas tout vu, tout n’aura pas été dit, mais normalement chacun sortira satisfait du musée. C’est du moins ce qu’espère le guide avec l’espoir de vous revoir si vous nous connaissez déjà ou de faire votre connaissance lors d’un passage par Ambérieu-en-Bugey.

Gérard Joud, président du musée
du Cheminot d’Ambérieu.



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